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bouddha et le moine

26 septembre 2008

la Voie froncièrement parfaite

La Voie est foncièrement parfaite. Elle emplit tout. Comment pourrait-elle découler de la pratique et de la réalisation ? Le véhicule du dharma est libre et ne souffre d’aucune entrave. En quoi l’effort de l’homme réfléchi est-il nécessaire ? En vérité, le Grand Corps est au-delà de toutes poussières du monde. Peut-on encore supposer qu’il existe un moyen de l’épousseter ? Il n’est pas singulier, il est exactement là où se trouve. A quoi bon errer ? Cependant, s’il y a un fossé, si petit soit-il, la voie reste aussi lointaine que le ciel de la terre. Si l’on manifeste la moindre prédilection ou la moindre aversion, l’esprit se perd dans la confusion. Imaginez une personne qui se loue de comprendre et qui s’illusionne sur son éveil - devinant la sagesse en toutes choses - se joint à la voie, clarifie son esprit et fait naître le désir d’escalader le ciel par ses propres moyens. Cette personne a entrepris l’exploration originelle, mais elle s’est restreinte par des limitations. Ainsi, elle n’est pas totalement engagée sur la voie de la délivrance. Ai-je besoin de parler du Bouddha, qui possédait la connaissance innée ? On perçoit encore les effets des six années passées assis en lotus dans une immobilité totale. La transmission du sceau jusqu’à nos jours a conservé la mémoire de Bodhidharma et de ses neufs années de méditation face au mur. Comment nos contemporains peuvent-ils penser être dispenser de pratiquer ? Par conséquent, il est nécessaire d’abandonner une pratique qui ne se fonde que sur la compréhension intellectuelle et sur les concepts. Apprendre l’introspection qui dirige la lumière vers l’intérieur, pour illuminer notre vraie nature. Le corps et l’âme d’eux-mêmes s’estomperont, et notre visage originel se révélera. Si nous voulons atteindre l’éveil, il est nécessaire de pratiquer sans tarder. Pour Sanzen, une pièce silencieuse convient. Mangez et buvez frugalement. Refusez tout engagement et abandonnez toutes préoccupations. Ne pensez pas : " ceci est bien, cela est mal ". Ne prenez aucun parti. Arrêtez tous les mouvements de l’esprit conscient. Ne portez aucun jugement sur ce qui est pensé. N’ayez aucune envie de devenir un bouddha. Zazen n’a radicalement rien à voir avec la position assise ou la position allongée. A l’endroit où vous avez l’habitude de vous asseoir, étendez une natte épaisse et placez un coussin dessus. Asseyez-vous en lotus ou bien en demi-lotus. Dans la posture du lotus, placez d’abord votre pied droit sur votre cuisse gauche, et votre pied gauche sur votre cuisse droite. Dans la posture du demi-lotus, vous vous contentez de presser votre pied gauche pied gauche contre votre cuisse droite. Desserrez vos vêtements et votre ceinture, puis arrangez-les décemment. Placez votre main droite sur votre pied gauche et votre main gauche sur votre main droite ; les extrémités des pouces se touchent. Asseyez-vous bien droit, dans une posture correcte, ni penché à gauche ni penché à droite, ni en avant ni en arrière. Assurez-vous que vos oreilles sont dans le même plan que vos épaules et que votre nez se trouve sur la même ligne verticale que votre nombril. Placez la langue en avant contre le palais ; la bouche est fermée et les dents se touchent. Les yeux doivent rester toujours ouverts et vous devez respirer doucement par le nez. Quand vous avez pris la posture correcte, respirez profondément une fois, inspirez et expirez. Inclinez votre corps de droite et de gauche ; et immobilisez-vous dans une position assise stable. Pensez à ne pas penser. Comment pense-t-on à ne pas penser C’est aller au-delà de la pensée, cela en soi est l’activité essentielle du zazen. Le zazen dont je fais mention n’est pas l’apprentissage de la méditation, mais le Dharma qui procure la paix et le bonheur, la pratique et la réalisation d’un éveil parfait. Zazen est l’expression de l’ultime réalité. Les pièges et les filets ne peuvent pas le capturer. Une fois que vous avez saisi son essence, vous êtes comparables au dragon quant il entre dans l’eau et analogue au tigre quand il s’enfonce dans la montagne. A l’instant où on pratique zazen et que l’on rejette toute distraction et laisse aller tant le mental que le physique, le vrai Dharma se manifeste. Quand vous vous relevez, bougez doucement et sans vous hâter, restez calmes mais volontaires. Evitez d’être brusques. Quand on se réfère au temps jadis, on constate que la transcendance de l’éveil et du non-éveil, que mourir en position assise ou debout, ont toujours découlés de la fermeté du zazen pratiqué. L’ouverture à l’éveil occasionnée par un doigt, une bannière, une aiguille, un maillet, la réalisation grâce à un chasse-mouches, un poing, un bâton, un cri, tout cela ne peut être saisi pleinement ni par la pensée rationnelle, ni par l’exercice de pouvoirs surnaturels. C’est au-delà de ce que l’homme peut entendre et voir, un principe qui précède les connaissances et les perceptions. Il importe peu que l’on soit ou pas intelligent. Il n’y a pas de distinction entre un sot et un quelqu’un qui ne l’est pas. Quand on concentre son effort d’un seul esprit, cela en soit est négocier la voie. La pratique et la réalisation sont pures par nature. Avancer sur la voie est une affaire de persévérance. Ce monde et d’autres, en Inde et en Chine, respectent dans l’ensemble le sceau du bouddha. Ce qui prime dans cette école est la dévotion à la méditation assise tout simplement, s’asseoir immobile dans un engagement total. Il est dit qu’il y a autant d’âmes que d’hommes, tous négocient la voie par la pratique de zazen. Pourquoi abandonner les privilèges du fils de maison pour errer sur les routes poussiéreuses ? Un seul faux pas, et vous vous écartez du chemin qui est tout tracé devant vous. Vous avez cette chance unique de prendre une forme humaine ; ne perdez pas votre temps. Vous apportez votre contribution à l’ouvrage de la voie du Bouddha. Qui prendrait un plaisir vain à la vue de l’étincelle qui jaillit du silex ? Forme et substance sont comme la rosée sur l’herbe et la destinée semblable à un éclair. Elles s’évanouissent toutes en un instant. Je vous en prie, honorés disciples du zen, accoutumés à palper l’éléphant dans l’obscurité, ne craignez pas le vrai dragon. Consacrez vos énergies à la voie qui indique l’absolu. Respectez l’homme qui a réalisé et qui se situe au-delà des actions des hommes. Mettez-vous en harmonie avec l’illumination des Bouddhas. Suppléez à la succession légitime du satori des Patriarches. Adoptez cette conduite et vous serez comme eux. Votre salle au trésor se donnera à vous et vous en userez comme bon vous semblera.
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24 septembre 2008

Vacuité

Voici donc quelques passages qui viennent du canon Pali, c’est à dire la collection des textes bouddhistes les plus anciens. Quelqu’un demande : "Qu’est-ce que la libération de l’esprit par la vacuité ?" Le Bouddha répond : "Le moine s’installa au pied d’un arbre dans la forêt ou dans une hutte vide ; il réfléchit ainsi : Ceci est vide de soi ou de ce qui appartient à soi. Voilà la libération de l’esprit par la vacuité". Beaucoup d’idées dans ce texte sont assez simples. D’abord il y a un lien très fort entre l’idée de la vacuité et l’idée de la libération. Il est souvent dit que le Dharma a le goût de la libération, le goût de tout ce que le Bouddha a enseigné. Il dit une fois que, de même que l’océan est imprégné du goût du sel, de même le Dharma est imprégné du goût de la libération. Il y a une tentation à considérer la libération comme une sorte de salut, quelque chose d’ultime, de très spécial, un peu comme l’éveil. Mais, dans le bouddhisme, il faut savoir que chaque terme est toujours compris dans un contexte. Quand on dit que quelqu’un est libre, il faut spécifier : libre de quoi ? La libération en soi n’a aucun sens. Quand on parle de devenir libre dans le bouddhisme, il faut préciser très clairement, très précisément ce qu’on essaye de quitter, de laisser tomber. C’est une certaine relation avec soi-même. La saisie La libération est la libération d’une certaine façon d’être, fondée sur une crispation, sur une saisie. Cette saisie n’a rien à faire avec les idées que nous avons philosophiquement, intellectuellement, de ce que nous sommes. La saisie est imprégnée dans la structure corporelle de notre être. C’est une crispation émotionnelle. Cette crispation, nous pouvons la noter par exemple quand nous nous sentons honteux, embarrassé, quand quelqu’un par exemple nous regarde et que nous avons le sentiment d’avoir fait quelque chose de mal. On ressent alors une conscience de soi presque physique comme une crispation physique fortement reliée avec le sentiment de soi. C’est à ce niveau-là que le bouddhisme s’intéresse au problème du soi. Il n’y a pas de problème d’avoir un soi, un ego ; c’est simplement la façon dont les êtres humains construisent leur vie, se reconnaissent, reconnaissent les autres, suivent leurs aspirations. Le soi, c’est ce que nous sommes, et ça, ce n’est pas problématique. Mais ce soi devient problématique quand il est séparé du corps, des émotions, des pensées, de toutes les relations que nous avons avec le monde. Quand on se sent dans cette conscience extrême de soi, on est coupé, détaché de tous les liens, aliéné. On se sent alors vraiment seul, coincé dans ses propres sentiments d’être soi. Et pour les bouddhistes, ces sentiments ne sont pas nécessaires, c’est une sorte de maladie existentielle, quelque chose qui est de trop, unnecessary. La méditation et la vacuité sont alors les moyens pratiques pour découvrir une voie, un chemin, pour relâcher cette prise, trouver une certaine ouverture. Evidemment, ce n’est pas aussi simple que ça. On ne peut pas dire aux autres : "relâchez cette saisie". Ce n’est pas du domaine de la volonté. Il faut donc trouver les moyens qui vont au-delà de la volonté. Les pratiques que nous faisons ici sont des moyens d’apprendre une autre façon d’être dans le corps, dans le monde. Et cette attention à la respiration, au corps, marcher lentement, s’asseoir pendant des heures, il est bien possible que vous les trouviez un peu ennuyeuses. Mais il faut, dans ces moments d’ennui, réfléchir pourquoi nous faisons ces choses-là. Dans la pratique de la méditation, il s’agit de regarder le monde et soi-même comme processus au lieu d’une chose fixe. D’apercevoir le changement. Le changement n’a aucune valeur en soi. La seule valeur de cette attention au changement est de remplacer cette idée fixe, innée, de la permanence du moi, de la permanence des choses que nous aimons et que nous détestons, par une compréhension issue de l’expérience de la nature changeante de toutes les choses. Après avoir fait la méditation, surtout après une retraite, on aperçoit peut-être une certaine transformation dans la façon dont on perçoit les choses. Et c’est très intéressant de remarquer ça. Parce que, quand nous commençons à voir que les choses changent, ça nous rend plus vivaces. Peut-être avez-vous remarqué cela dans le jardin. Nous arrivons ici après une semaine de boulot, de stress etc., et ce stress, ces angoisses n’ont pas seulement un effet sur notre propre expérience intérieure dans le sens de déprime mais ils colorent aussi la façon dont nous regardons le monde, dont nous faisons l’expérience des choses autour de nous. Ces choses deviennent un peu opaques, ternes, pas très vivantes, et même pas du tout intéressantes. Nous ne sommes pas fascinés par les choses. Nous avons l’impression parfois que les choses sont contre nous-mêmes. Le monde devient presque menaçant. Mais si on laisse tomber ces sentiments, cette angoisse, cet attachement, cela a deux effets. Un effet en nous-mêmes : nous nous sentons un peu plus détendus, ouverts, à l’aise, décrispés et en même temps le monde se transforme aussi en quelque chose qui est presque étincelant, éblouissant. Les couleurs et les sons deviennent plus vivants. Même une feuille sur un arbre devient quelque chose que nous pouvons regarder avec un certain émerveillement au lieu d’y être complètement indifférent. Cette transformation de la perception est quelque chose que nous pouvons vérifier par nous-mêmes, qui se trouve au cœur de ce que nous faisons ici, et qui est en même temps un chemin qui nous mène vers cette expérience de la vacuité. La vacuité est cette façon de parler d’un monde et d’une expérience de soi-même qui s’ouvrent au lieu de se refermer. Pour moi, ceci est la dynamique principale, la dynamique entre enfermement et ouverture. Le Bouddha est un symbole d’ouverture, de lâcher toutes ces saisies qui nous piègent dans une solitude névrotique où nous nous sentons coupés des liens et des relations avec le monde. Mais on trouve aussi autre chose dans cette citation : le Bouddha conseille aux moines d’aller dans la forêt, de s’asseoir dans une hutte vide et de réfléchir : ceci est vide. Ca veut dire que la nature même éclaire cette possibilité d’être vide. Parce que la nature, c’est toutes les choses naturelles qui n’ont pas de propriété humaine et sont libres de tous les désirs, les craintes, les ambitions humaines. Et il est possible aussi d’avoir une telle expérience de soi-même comme un organisme naturel qui émerge, qui dissout, qui va, qui vient sans obstacle, sans aucun empêchement de ses propres pensées, de ses désirs. L’expérience du corps, par exemple quand nous respirons, est l’expérience de quelque chose qui n’est pas sous notre contrôle. On a souvent l’impression que c’est moi qui dirige cet organisme. Dans un sens conventionnel, c’est sûrement vrai puisque ce n’est sûrement pas Martine qui me dirige, quoique des fois, pas toujours… Ce ne sont pas les autres qui nous dirigent. Si je prends une décision, c’est moi qui la prends, mais dans un sens plus profond, cet organisme est hors de mon contrôle. La vieillesse, la mort sont nos destins, ce n’est pas possible de les éviter, bien que nous tentions bien sûr de le faire. Mais finalement, si on ne meurt pas avant que la vieillesse commence, on va vieillir, on va mourir. Et ça, c’est le destin de tous les êtres. Dès qu’on est né, on commence à mourir. La mort n’est pas le contraire de la vie, elle est implicite dans la vie. Il n’est pas possible en effet de concevoir une vie sans la mort. Comme dit le philosophe Heiddeger, l’être humain, das Dasein, est destiné à la mort. C’est sa nature. Quand on dit qu’on vit, on pourrait aussi dire qu’on meurt. La vie, c’est un écoulement, qui se déverse dans la mort. Mais évidemment, on essaie de résister, de fuir ce destin en se refermant et c’est là quelque chose de tout à fait instinctif. On se renferme dans cette prise. Le soi, c’est cette façon de saisir, cette crispation. Nous sommes tellement habitués à cette crispation que nous avons l’impression qu’il y a là quelque chose à quoi nous tenons très fortement, que nous saisissons mais ce n’est qu’une saisie. C’est comme un poing fermé. Si on garde le poing fermé, on a l’impression qu’il y a quelque chose dans le poing mais c’est simplement cette force de refermer qui donne l’impression qu’il y a quelque chose. Alors que ce n’est que la crispation elle-même. Cette libération de l’esprit par la vacuité montre que la vacuité est quelque chose d’assez central, essentiel. Mais en même temps, le Bouddha dit, dans un autre texte, que la vacuité, c’est "la demeure du grand être". Ce qui veut dire que quelqu’un qui a lâché prise, deviendra un grand être, une grande personne. Dans un sens, nous ne devenons pas ce que nous pouvons devenir parce que nous sommes bloqués par cet attachement à être moi, cette personne qui recule toujours. La vacuité, ce n’est pas l’abnégation de soi mais le lâcher prise de cette façon de saisir l’ego. Quand on commence à lâcher cette prise, on retrouve la possibilité de devenir "un grand être" comme dit le Bouddha, c’est à dire quelqu’un qui est toujours un individu. Mais on devient alors un individu encore plus différencié que la plupart des gens qui restent très engagés dans ce sentiment d’être ce petit moi qui se renferme tout le temps. La vacuité, c’est l’ouverture vers un chemin, un chemin de développement, de croissance. C’est une façon de parler de ce qui nous bloque et de voir ce que nous pouvons devenir. Il y a une rencontre très connue entre le Bouddha et un mendiant. Celui-ci demande au Bouddha : Le soi existe-t-il ? Le Bouddha garda le silence. Le soi n’existe-t-il pas ? Le Bouddha garda encore le silence. L’errant se leva de son siège et partit. Le Bouddha se tourna vers son serviteur Ananda et dit : "Si j’avais répondu que le soi existe, j’aurais prolongé la croyance qu’il y a quelque chose qui ne périt jamais, qui est éternelle. Et si j’avais répondu que le soi n’existe pas, cela aurait encouragé le nihilisme." Ceci est en effet l’opinion que nombre de gens ont sur le bouddhisme, que c’est une forme de nihilisme. En réalité, c’est une voie médiane entre ces deux extrêmes, entre le soi et le non-soi. Ceci est très intéressant, notamment dans les écrits de Nagarjuna qui était l’interprète principal des enseignements sur la vacuité du Bouddha. Jamais dans ses écrits, il ne fait d’équivalence entre le non-soi et la vacuité. Quand j’étais un moine tibétain, j’ai étudié pendant des années la philosophie bouddhiste avec les lamas.J’ai toujours compris que la vacuité était une façon de décrire le non-soi. Mais Nagarjuna ne fait pas ça, la vacuité n’est réductible ni à un soi ni à un manque de soi. En tant que voie médiane, la vacuité est une façon de ne pas être piégé, soit dans l’idée que les choses existent, soit dans celle que les choses n’existent pas. L’existence et la non-existence sont un dualisme qui est imprégné dans nos concepts et nos façons de penser et de parler. La vacuité, c’est une façon de vivre qui évite les extrêmes. Evidemment, on utilise toujours ces mots. On vit dans un monde dualiste, même si on ne le croit pas. Ce n’est pas possible d’éviter les oppositions linguistiques qui sont une partie de notre existence mais en même temps, il n’est pas nécessaire de croire, de s’attacher ni à l’existence ni à la non-existence. La croyance ou le nihilisme sont deux tentations qu’on peut remarquer partout chez les gens qui croient qu’il y a quelque chose de permanent en eux-mêmes et ceux qui croient qu’il n’y a rien, pas de sens dans la vie, que celle-ci n’est qu’un jeu des éléments atomiques et rien de plus. Le Bouddha ne voulait pas être coincé ni dans un extrême ni dans l’autre. La vacuité comme processus Ceci nous mène à Nagarjuna lui-même et c’est ici que nous commençons à trouver une façon de parler de la vacuité beaucoup plus claire. Voici un verset de Nagarjuna : "Les Bouddhas disent que la vacuité consiste à renoncer aux opinions. Ceux qui croient à la vacuité sont incorrigibles". C’est le cœur de la matière. En effet, la vacuité n’est pas une chose, ce n’est pas un état, ce n’est pas une réalité ultime, absolue qui se cache derrière les apparences, ce n’est pas un vide mais plutôt un processus de se vider. En anglais, on dirait : ce n’est pas une "emptiness", c’est une "emptying". On se vide de ses attachements, de ses préoccupations, de ses crispations et ce processus de se vider, c’est la vacuité. Encore une fois, on a un problème de langage. On parle avec des substantifs. Le Bouddha aussi parlait avec des substantifs. "Shunyata", c’est un substantif abstrait comme le vide ou la vacuité. Et immédiatement, parce que nous sommes construits ainsi, nous pensons que ce mot vacuité doit correspondre à quelque chose dans le monde, à quelque chose de profondément caché en nous-mêmes ou derrière les apparences, un peu comme Dieu ou le Tao. Mais cette façon de penser est précisément ce que la philosophie et la vacuité veulent détruire. Car la vacuité, c’est exactement le contraire. Mais c’est très facile et même inévitable de faire ça. Il y a alors un problème avec le langage, les mots. Il faut qu’on se méfie de toutes ces expressions, ne pas les utiliser dans un sens littéral. Il faut peut-être voir ce mot vacuité plutôt comme un outil que comme une vérité. C’est simplement une façon d’indiquer une autre stratégie de vivre qui consiste à renoncer à des opinions, à laisser tomber des idées fixes et encore une fois, si nous essayons de lier ceci avec la méditation, c’est ce que nous faisons. Quand nous sommes attentifs au corps, à la nature changeante, contingente, à des choses interdépendantes, c’est une stratégie, un outil pour transformer nos attitudes habituelles qui, instinctivement, regardent les choses comme existant intrinsèquement en elles-mêmes. On commence évidemment avec soi parce que c’est la chose la plus proche, la plus intime dans notre expérience. On pense toujours à soi. Enfin moi, je fais ça. On est toujours préoccupé par ses sentiments, ses idées, son futur, son passé et c’est dans un sens naturel, enraciné dans la survie biologique. Mais en même temps, pour les êtres qui cherchent une vérité dans leur vie, une libération de leurs compulsions instinctives, ça devient un piège, nous nous trouvons enfermés dans des idées qui ne sont pas libératrices du tout mais qui nous font tourner en rond, en cercle. On a cette idée dans l’hindouisme et aussi dans le bouddhisme de "samsara". Samsara, c’est littéralement le cercle de mort et de renaissance. Si nous interprétons ceci de façon plus psychologique, c’est la répétition habituelle dans nos esprits des pensées, des attachements, des émotions, des identifications. Le but du bouddhisme, c’est de sortir de ce cercle. Et quand on sort d’un cercle, on trouve une voie, un chemin. Le chemin est le contraire d’un cercle. Un cercle n’a pas de but, c’est une continuation répétitive. Un chemin, c’est une ouverture vers d’autres possibilités qu’à présent nous ne comprenons pas mais qui nous donnent le sentiment d’avoir vraiment un but dans la vie. Et ce n’est pas simplement un but que le chemin nous donne mais aussi une liberté de bouger, de vivre sans obstacle. Une voie, un chemin Nagarjuna dit aussi que la vacuité, c’est la voie médiane elle-même. Ca veut dire que la vacuité est une voie. Ça n’a peut-être pas beaucoup de sens. Mais si on réfléchit un peu, une voie, un chemin, un sentier, c’est une vacuité. Par exemple, si nous regardons une colline et apercevons un chemin qui traverse cette colline, nous avons l’impression que le chemin s’est surimposé sur le champ. En réalité le sentier, c’est simplement l’absence de gazon, de plantes, de rochers qui nous permet de traverser le champ. Même chose avec une forêt. Les voies qui nous permettent de traverser une forêt ne sont que des écarts entre les arbres, les rochers, les buissons. Dans un sens littéral, un chemin, un sentier, c’est une vacuité, une "emptiness", c’est un manque de quelque chose et c’est un manque qui nous permet de bouger, de marcher sans obstacle. Le bouddhisme parle beaucoup des obstacles et surtout des obstacles psychologiques comme la haine, la paresse, etc. Ces obstacles sont les choses en nous-mêmes qui nous empêchent de suivre le chemin. Ils nous bloquent. Et ces blocages sont des choses qui nous forcent à tourner en rond. Quand on se sent bloqué par quelque chose, on se sent incapable de sortir de ce dilemme. On ne peut pas bouger. On ne peut pas faire de progrès. On se sent vraiment coincé, agrippé, crispé. Mais dès qu’on trouve une façon de sortir d’un certain blocage, et ce pourrait être par exemple par une analyse psychanalytique, on ressent tout de suite une libération. On voit encore une fois la connexion, le lien entre le chemin, le lâcher prise et la vacuité. Quand on médite, les moments les plus bénéfiques sont ceux où on sent une certaine ouverture mais il ne s’agit pas d’une ouverture passive, ce n’est pas un état où on est complètement à l’aise. On a l’impression qu’après une méditation qu’on considère comme une "bonne" méditation, que quelque chose se débloque. Cette méditation nous a aidés à nous ouvrir. Toutes ces métaphores d’ouverture, de vacuité ne sont que des métaphores mais qu’il faut toujours lier avec l’expérience. Autrement, il reste des idées philosophiques, bouddhistes qui sont peut-être très intéressantes et très profondes mais n’ont aucun effet sur la qualité de notre vie ici et maintenant qui est la chose centrale. Les enseignements, les pratiques doivent avoir un effet de transformation maintenant, et non dans un certain avenir où on deviendra bouddha après plusieurs vies progressives. Ceci est peut-être un contexte utile à avoir mais pour nous, la méditation doit agir sur ce que nous ressentons ici et maintenant. Le questionnement Je voudrais terminer en parlant des liens entre la vacuité, cet emptying, ce processus de se vider, et le questionnement dont Martine a parlé ce matin et la créativité. Pour moi, une idée très centrale dans la méditation et c’est quelque chose que nous trouvons surtout dans le Zen, c’est le fait que nous-mêmes et le monde dans lequel nous vivons ne sont pas quelque chose que nous pouvons prendre pour acquis, mais plutôt un mystère, quelque chose de profondément mystérieux. Dans l’état de samsara, dans cet état de crainte et d’habitudes, le monde ne se présente pas comme mystérieux mais comme quelque chose que l’on connait déjà. Et dès qu’on pense qu’on connaît quelque chose, très rapidement ça commence à être un peu ennuyeux, pas très intéressant, un peu terne, fade. La vacuité ou ce lâcher prise est une ouverture à un sentiment assez vivant du mystère des choses et de soi-même. Le questionnement que Martine a introduit ce matin : "Qu’est-ce que c’est ?" "Qu’est-ce que ceci ?" est une façon d’exprimer cette impression de mystère. Effectivement, si on continuait une pratique Zen, on perdrait le sentiment qu’il y a un méditant qui pose une question vis à vis d’une réalité. Mais on découvrirait qu’il n’y a pas de séparation entre le questionnement et le mystère de la vie elle-même. En un sens, nous commençons à comprendre que la vie se présente comme question tout le temps à nous. Ce questionnement est simplement l’expression du mystère de la vie et sans aucune séparation entre celui qui pose la question et cette réalité, la vie, le monde, qui est l’objet de ce questionnement. Cette ouverture qu’on appelle la vacuité est donc une ouverture au mystère. Ce n’est pas une ouverture à une réponse, à une solution, à une certitude définitive de la nature des choses. Mais chaque fois que la vacuité devient un objet philosophique, on se dit qu’à ce moment-là, si on comprenait la vacuité, on connaîtrait alors la réalité ultime du monde et tous les problèmes seraient résolus. Ça, c’est l’imagination religieuse de beaucoup de personnes et on pourrait remplacer le mot Dieu ou Tao par vacuité dans le bouddhisme. N’importe quel système religieux a cette tendance à ultimiser quelque chose comme objet privilégié qui est au-delà de notre expérience et probablement quelque chose qui est bien connu par les experts, les adeptes, les lamas, les prêtres et dans un sens caché de nous. Mais cette façon de penser est erronée. En effet, quand on commence à comprendre ce qu’est la vacuité, ça ne donne pas de certitudes finales, un éveil qui serait finalement le but après lequel on n’aurait rien à faire. Au contraire, c’est le début, c’est là où la voie commence. Et ce début de la voie, cette idée que l’expérience de la vacuité est le début de la voie, est un enseignement qui se trouve dans les textes les plus anciens. Pour le Bouddha, l’expérience de ce qu’on appelle en pali Sotapana, veut dire entrer dans le courant, c’est à dire avoir l’expérience de l’éveil, de la vacuité, et ce moment-là correspond au premier pas du chemin octuple. C’est la vision juste. Et ce n’est que quand on voit les choses d’une façon juste qu’on peut vraiment entrer dans le chemin. Avant ce moment-là, on n’est pas vraiment dans le chemin. On le cherche toujours. On risque toujours, quand nous parlons ainsi de donner l’impression que l’éveil est quelque chose de très facile mais le paradoxe avec l’expérience de la vacuité est que c’est quelque chose dont nous sommes très très proches maintenant. On a l’exemple en Zen d’un poisson qui passe toute sa vie à chercher de l’eau. Evidemment l’eau est la chose la plus proche de ce poisson. Il y a beaucoup de récits dans les traditions mystiques, pas simplement bouddhistes qui disent que quand quelqu’un découvre la réalité de Dieu ou d’autre chose, il se rend compte qu’en effet c’est quelque chose qui était déjà très proche de lui-même. Saint-Augustin a dit une fois que Dieu est plus proche de soi-même que son propre moi. Je crois que c’est la même chose ici. Mais ce serait une erreur de penser que c’est quelque chose de tout à fait évident et simple parce que c’est la chose aussi la plus difficile à comprendre dans la vie. Heidegger, quand il parle du mystère, dit que c’est la chose la plus proche et la plus distante à la fois. La créativité Pendant une retraite ou bien dans la vie quotidienne, on a souvent des petits moments, des clins d’œil de choses, une façon de voir ou de sentir qui n’est pas la même que d’habitude. Ces moments-là sont précieux. La méditation est une préparation à ces possibilités qui peuvent s’ouvrir n’importe quand. Cette vigilance attentive, c’est un training, un apprentissage pour être de plus en pus ouvert à des moments où la vie s’ouvre. Et ça peut arrive n’importe quand. Le Zen met beaucoup l’accent sur ce point-là : l’éveil est quelque chose qui peut interrompre n’importe quel moment. Ceci nous encourage à être toujours prêts pour cette irruption, ce choc qui pourrait arriver. Et cette attente, ce waiting, de rester vigilant, c’est vraiment central dans cette pratique. Ce que nous faisons ici, c’est nous préparer pour une vie qui est menée dans cette perspective-là. Quand nous laissons tomber nos attachements, nos désirs, nos craintes, nous nous ouvrons aussi à notre créativité. Parce que la créativité, c’est la création. Et la création, c’est donner naissance à quelque chose qui n’existait pas auparavant, à quelque chose de nouveau. Le problème avec le samsara, c’est qu’on répète toujours les mêmes choses. Rien de nouveau n’entre dans nos vies. Et ça devient très ennuyeux, très frustrant. Dès qu’on entre dans un chemin, on entre dans le champ de possibilités que quelque chose peut arriver. C’est là que l’on trouve l’origine des actes créatifs. La voie elle-même est une ouverture à des possibilités nouvelles, une façon dont on mène sa vie, dont on parle aux autres, dont on réagit au monde, dont on choisit sa carrière, etc. Parce que la vie octuple du Bouddha commence avec la vision et se poursuit avec la motivation, puis la pensée, les actes et sa façon de vivre dans le monde. Et ceci n’est pas un truc de bouddhisme engagé du 20è siècle, c’est une idée de base dans le bouddhisme malgré qu’il n’y ait aucun concept de créativité dans le bouddhisme, chose que nous trouvons peut-être un peu étrange. Dans notre culture, on pourrait facilement parler de créativité dans ce processus. Tout en étant vigilant à ne pas penser à une créativité comme le domaine de l’artiste ou de certaines personnes douées d’un certain sens artistique. La créativité devrait être quelque chose qu’on peut réaliser dans la vie de famille, dans son travail, au bureau, dans le jardin, dans la vie politique, économique, sociale, partout. Ce monde a grandement besoin d’idées nouvelles parce que peut-être nous trouvons que notre système économique et politique risque de tourner en rond et n’a pas vraiment un but. Nous avons perdu de vue un but, pas simplement pour nous-mêmes en tant qu’individu mais pour la société en général. C’est une crise réelle que nous expérimentons aujourd’hui. Et j’espère que ces idées de la vacuité et de la méditation peuvent d’une certaine manière contribuer à nous aider à résoudre ces difficultés individuelles et sociales.
24 septembre 2008

réflexions sur les refuges

Les êtres humains peuvent atteindre n’importe quel niveau. Nous pouvons vivre, comme beaucoup le font, au niveau instinctuel de notre corps, répondant aux instincts animaux comme manger, dormir et procréer. Nous pouvons même descendre en dessous de ce niveau en étant obsédé par des désirs très vils. Il y a, hélas, de nombreux humains qui vivent de cette manière. Ce ne sont pas véritablement des êtres humains ; ils sont semblables à des fantômes vivant dans un monde intermédiaire de faims obsessionnelles et de désirs insatiables, comme les drogués et les alcooliques. Ou ils peuvent être des démons, possédant une énergie maléfique qui essaye de détruire ou blesser les autres. Posséder un corps humain ne signifie pas nécessairement être pleinement humain. Ce n’est pas si simple. Le monde humain est un monde profondément affecté par la moralité. Aussi, être humain implique également quelque chose de mental. Ce n’est que lorsque nous décidons d’être responsable de notre propre vie que nous devenons complètement être humain. Afin d’être humain nous devons faire l’effort de nous élever. Etre responsable demande de l’effort ; ce n’est pas quelque chose qui nous arrive sans effort. Nous devons le choisir. Nous devons décider de nous comporter de cette manière et de mettre en oeuvre cette sorte d’engagement et d’effort dans notre vie. Autrement nous ne faisons que suivre les pulsions instinctuelles, qui sont souvent d’un niveau très bas et licencieux. Lorsque nous produisons un effort, nous nous élevons à un niveau supérieur. C’est ce que représente le lotus ou la fleur. Lorsque nous prenons refuge dans le Bouddha nous prenons refuge dans ce qui est sage. Le mot « bouddha » est véritablement un terme pour la sagesse humaine ; il signifie « celui qui connaît la Vérité » ou « ce qui connaît ». Si nous nous appelons un bouddhiste nous pouvons penser avoir rejoint une religion, ou nous pouvons penser être quelqu’un qui prend refuge dans la sagesse. La manière d’être sage est de réfléchir et de contempler les choses. La sagesse est quelque chose qui se trouve déjà là. Ce n’est pas quelque chose que l’on obtient, c’est quelque chose que l’on utilise. Il est erroné de penser que nous allons parvenir à la sagesse en méditant. La méditation est un moyen d’apprendre à utiliser la sagesse qui est déjà présente. Aussi, dans la méditation, nous contemplons et réfléchissons sur le Dhamma, ou la Vérité des choses. Nous utilisons véritablement la sagesse en faisant cela. La sagesse n’est pas quelque chose que nous ne possédons pas, mais c’est quelque chose que, peut-être, nous n’utilisons pas toujours ou dont nous ne nous sommes pas toujours conscient. (...) Aussi lorsque nous prenons refuge dans le Bouddha et le Dhamma, cela nous rappelle à cet état d’attention et de vigilance. Nous n’essayons pas de nous « concentrer » sur ceci et de nous débarrasser de cela ; nous ne nous laissons pas prendre aux habitudes de complaisance ou de répression. Lorsque nous nous ouvrons réellement - lorsque nous apprenons à nous ouvrir, ici et maintenant - alors nous commençons à expérimenter la paix, car nous ne cherchons rien à quoi nous attacher. Nous ne nous agitons pas de tous côtés ; nous avons stoppé cette course frénétique. Ainsi s’ouvrir au Dhamma est-il le chemin de la paix, que nous devons réaliser nous-mêmes. Nous devons réaliser la Vérité par nous-mêmes ; il n’est pas question d’attendre que quelqu’un le fasse pour nous ou nous dise ce qu’il en est. Bouddha et Dhamma ne sont pas simplement de charmants concepts que l’on récite ; ce sont des bases de réflexion. Ce sont des enseignements que nous examinons et appliquons à notre propre expérience. Plutôt que de penser au Bouddha comme à un prophète mort il y a 2 500 ans, nous devons le considérer comme représentant cette sagesse en chacun de nous, ce qui nous replace dans le moment présent. Nous n’avons pas besoin d’aller chercher le Bouddha dans l’Himalaya. Simplement s’ouvrir à ce qui est - actuellement et en ce lieu - c’est prendre refuge dans Bouddha et Dhamma. Prendre refuge n’est pas rechercher quelque chose quelque part, mais s’ouvrir à ce qui se présente, tel que cela se présente, ici et maintenant. Prendre refuge c’est regarder comment sont véritablement les choses plutôt que de les concevoir de façon romantique. (...) Sangha est la société, ou la communauté des vertueux, de ceux qui pratiquent, qui utilisent la sagesse, qui contemplent la Vérité. Lorsque nous prenons refuge dans Sangha, nous ne prenons plus refuge dans notre personnalité ou dans nos capacités individuelles, mais dans quelque chose de plus grand que cela. Sangha est une communauté dans laquelle nos personnalités ne sont plus si importantes. Que nous soyons homme ou femme, jeune ou vieux, instruit ou pas, ou quoi que se soit, ce ne sont plus des choses importantes dans Sangha. Le Sangha est ceux qui pratiquent, ceux qui vivent de la manière correcte, ceux qui contemplent la Vérité et utilisent la sagesse. Lorsque nous prenons refuge dans Sangha cela signifie que nous désirons abandonner nos qualités personnelles, nos exigences et nos attentes en tant qu’individu séparé. Nous abandonnons ces choses pour le bénéfice du Sangha, de ceux qui pratiquent, se dirigent vers la Vérité, réalisent la Vérité.
24 septembre 2008

pourquoi prendre refuge

Refuge signifie « protection ». Prendre refuge, c’est se placer sous une protection. Contre quoi ? Contre la souffrance. Il est clair que tous les êtres désirent le bonheur, pourtant ils ne l’obtiennent pas. Tous désirent éviter la souffrance, ils la rencontrent pourtant. Le contrôle de la situation nous échappe. Nous cherchons donc des remèdes. On pense communément que l’effort des humains, le déve loppement des sciences et des techniques, le progrès matériel, permettront d’échapper à la souffrance, ou du moins contibue ront à la diminuer de manière significative. Ce n’est que très partiellement vrai. Les modifications apportées au monde ex térieur peuvent conduire à des solutions superficielles et ponctuelles au problème de la souffrance, mais elles ne peuvent le résoudre ni profondément ni à long terme, car elles ne s’attaquent pas aux causes. Or, tant que la cause n’est pas sup primée, on ne peut espérer la disparition durable des effets. Même si la souffrance paraît s’effacer momentanément, elle reviendra nécessairement. Le bonheur ne peut être, dans ces conditions, que passager ; la porte reste ouverte à de nou velles souffrances. En vérité, tant que nous ne nous tournons pas vers l’esprit, tant que nous restons fixés sur les apparences extérieures et que tous nos efforts sont orientés vers leur réorganisation, la perspective d’un bonheur authentique et durable reste bou chée. Aucun des moyens ordinaires que nous employons ne permettra jamais d’éviter définitivement la souffrance. La voie bouddhiste, ce qu’on appelle le dharma, se situe sur un autre plan : elle envisage la question moins dans le do maine de ses développements extérieurs que dans celui, inté rieur, de l’esprit, celui‑là même qui fait l’expérience de la souffrance, là, aussi, où se situe la cause. Elle regarde vers la source. Dans sa nature originelle, notre esprit est pur, libre et heu reux. Mais nous ne connaissons pas cette nature originelle. Nous lui sommes depuis toujours étrangers en raison du mode de fonctionnement défectueux de notre esprit, notam ment par le jeu des « émotions conflictuelles », à savoir les dif férentes nuances de notre relation déséquilibrée au monde et à nous‑mêmes : le désir, l’attachement, la possessivité, l’aver sion, la haine, la jalousie, l’aveuglement, etc. Ces émotions conflictuelles sont des conditionnements im primés dans notre esprit depuis des temps sans commence ment, sur lesquels nous n’avons nous‑mêmes pratiquement pas de contrôle. Elles sont la racine de nos souffrances, de nos frustrations et de nos angoisses ; elles nous conduisent à agir de manière à engendrer notre propre souffrance, par le biais du karma négatif. Nous ne sommes donc pas libres de notre destin, nous sommes impuissants à nous préserver de la souffrance et de l’illusion. C’est pourquoi nous nous en remettons à cette réali té transcendante que sont les Trois Joyaux : le Bouddha, le dharma (son enseignement) et la sangha (la communauté). Prendre refuge, s’engager sur la voie du dharma, c’est ainsi se placer sous une double protection : temporaire : par la puissance des Trois Joyaux, nous sommes protégés des souffrances dont nous avons semé la graine dans le passé et que nous rencontrons maintenant au cours de notre vie ; définitive : nous apprenons à comprendre en quoi les émo tions conflictuelles nous sont nuisibles, puis à nous en déga ger et à recouvrer notre pureté originelle, le bonheur authenti que et indépendant des circonstances qui est notre apanage. En quoi les Trois Joyaux ont‑ils cette capacité de nous pro téger que nous n’avons pas nous‑mêmes ? Le Bouddha est libéré des émotions conflictuelles et du karma, il possède l’omniscience de l’Eveil. Toute défectuosité s’est effacée en lui, en lui toutes les qualités de la pureté de l’esprit se sont épanouies. Il nous est ainsi infiniment supé rieur et c’est pourquoi nous le prenons comme refuge. Le Bouddha montre le chemin qui mène à la fin de la souf france ; on l’appelle donc « le guide ». Sa manière de nous gui der est de nous enseigner le dharma, par la pratique duquel nous progressons vers la libération. Ce dharma comprend lui -même une très grande variété d’aspects qui correspondent à la diversité des capacités, des tempéraments et des aspirations des êtres. Enfin, la sangha ‑ ceux qui pratiquent le dharma et le trans mettent aux autres ‑ nous aide dans notre progression. C’est ainsi que Bouddha, dharma et sangha sont nos trois refuges. C’est par ces Trois Joyaux qu’on s’engage tout d’abord sur le chemin, c’est ensuite par eux qu’on le parcourt, c’est enfin en eux que s’accomplit le but. Lorsqu’en effet on atteint l’éveil, c’est ce que l’on appelle obtenir l’état de bouddha, et cet état de bouddha, qui est la nature ultime de notre esprit, inclut en lui‑même le dharma et la sangha. D’un point de vue relatif, les Trois Joyaux apparaissent comme des réalités séparées bien qu’en vérité ils se résument ultimement dans le seul Bouddha. Pour celui qui souhaite se défaire de la souffrance du cycle des existences, il n’est pas de moyen plus profond et meilleur que la prise de refuge. CEUX EN QUI NOUS PRENONS REFUGE Quelle que soit l’école du bouddhisme à laquelle on se rat tache, on prend refuge tout d’abord en les Trois Joyaux, le Bouddha, le dharma et la sangha, qu’on nomme aussi les « Trois rares et sublimes ». Le Bouddha Peut‑être avons‑nous l’habitude de penser au Bouddha sim plement en tant qu’être humain semblable à nous‑mêmes, ayant vécu six siècles avant notre ère. Ce n’est pas faux, mais il est aussi beaucoup plus que cela. Lorsqu’on veut envisager la totalité de ce qu’il est, on considère trois aspects, trois modalités de son être, qu’on appelle les trois corps : Le corps absolu (dharmakaya) : c’est l’essence ultime de l’esprit du Bouddha, et de notre propre esprit. Il échappe à toutes caractéristiques. Il est sans forme, sans commencement, sans fin, ne demeure nulle part. Il ne peut être désigné par aucun mot, conçu par aucune pensée. Ce n’est pourtant pas une simple absence de quelque chose, car de lui s’élèvent toutes les apparences. Le corps de gloire (samboghakaya) : c’est la manifestation du Bouddha sous une forme lumineuse, dans les « champs purs ». Le corps d’émanation (nirmanakaya) : c’est la manifestation du Bouddha sous une forme ordinaire. Le Bouddha en tant qu’être humain se réfère à ce corps d’émanation. Bien que les qualités du Bouddha soient infinies, on en considère trois comme principales : la connaissance, l’amour, le pouvoir. Sa connaissance elle‑même est double : connaissance de la nature ultime de tous les phénomènes et connaissance de leur multiplicité dans le domaine de la manifestation relative. Nous‑mêmes, de ces deux points de vue, sommes dans l’ignorance. Loin de connaître le mode d’être des phénomènes, loin de comprendre ce que signifie la vacuité, nous nous assimilons à un « moi », un « ego ». Nous ne percevons pas que nous sommes, en réalité, libres des limites de l’individualité égocentrée. Notre expérience se borne à cette fixation sur la notion de « moi », de « moi j’existe ». En revanche, un Bouddha non seulement possède la réalisation que le moi n’a pas d’existence par nature, mais il perçoit aussi l’absence de réalité propre de tous les phénomènes. De même n’avons-nous, dans le temps et dans l’espace, qu’une connaissance très limitée des phénomènes. Nous ne connaissons pas nos vies passées, ni ce que sera l’enchaînement de nos vies futures, alors qu’un bouddha connaît toutes les vies passées des êtres, les actes qu’ils y ont accomplis, le karma qui en résultera et les renaissances qu’ils prendront. Il connaît aussi la situation présente de tous les êtres, sans confusion, précisément. Supposons, pour prendre un exemple, que les facultés de connaissance d’un bouddha soient semblables à la totalité de l’espace. Dans ce cas, celles des bodhisattvas seraient comparables au volume qu’occupe une pièce d’une maison, celles des êtres ayant certaines réalisations, comme les arhats, semblables au contenu d’un verre, tandis que celles des personnes ordinaires les plus intelligentes, les plus savantes et les plus cultivées n’occuperaient pas plus que le chas d’une aiguille. Si le Bouddha ne possédait que la connaissance, ce serait pour nous sans utilité. Mais son esprit est aussi amour. Il est dit qu’il a pour chaque être en particulier le même amour qu’une mère pour son fils unique. Les humains ordinaires ne peuvent avoir qu’un amour limité à un petit nombre de personnes. Encore ne sera-t-il pas égal pour tous et des préférences seront-elles marquées. L’amour du Bouddha, quant à lui, est équanime et s’applique à l’infinité des êtres qui peuplent un espace infini. Pour chacun, il est comme un ami, même si cet ami est souvent méconnu. Connaissance et amour, malgré leur grandeur, seraient encore insuffisants si le Bouddha ne possédait aussi le pouvoir de nous aider. Ce pouvoir se manifeste en particulier par l’enseignement du chemin de la libération qu’il nous donne. Par là, il fait que sont dissipées les souffrances présentes et supprimées les causes des souffrances à venir. Par la pratique du dharma, qui est la manifestation du pouvoir du Bouddha, nous avançons sur le chemin du bonheur, jusqu’à l’éveil. Le dharma Le dharma est la voie enseignée par le Bouddha. On distingue deux aspects : le dharma scripturaire : les enseignements du Bouddha qui ont été consignés par écrit, ainsi que les commentaires rédigés par les maîtres indiens ou tibétains ; le dharma de la réalisation : les réalisations effectivement advenues dans l’esprit des grands êtres ou des êtres ordinaires grâce à la pratique enseignée. La sangha Tous ceux qui suivent l’enseignement du Bouddha constituent la sangha, c’est-à-dire la communauté. On distingue néanmoins deux degrés : la sangha supérieure, constituée des êtres ayant obtenu différents niveaux de hautes réalisations, que ce soit les bodhisattavas, les shravakas ou les pratyékas-bouddhas la sangha ordinaire. C’est avant tout en la sangha supérieure que l’on prend refuge. On appelle ces Trois Joyaux les « Trois rares et sublimes », car il est très rare qu’ils apparaissent dans le monde et parce qu’ils sont supérieurs à toute chose. Les Trois Racines Dans le vajrayana, la branche du bouddhisme la plus répandue au Tibet, on ajoute aux Trois Joyaux trois autres lieux de refuge, les « Trois Racines » : les lamas, racine de la grâce, les yidams (divinités de méditation), racine des accomplissements, les protecteurs, racine de l’activité. Dans le cadre du vajrayana, on considère en effet que pour réaliser la nature ultime de l’esprit, il est nécessaire de suivre un lama, un maîÎtre spirituel qui montre le chemin, confère des initiations, donne des instructions et dont on reçoit la grâce, la puissance spirituelle. Après quoi, on pratique les différentes méditations en rapport avec les yidams, qui permettent d’obtenir l’accomplissement sublime (la réalisation de la nature ultime de l’esprit) et les accomplissements ordinaires (la longue vie, le mérite, les différents pouvoirs). Enfin, étant donné que la pratique du dharma se heurte à de nombreux obstacles, on s’en remet aux divinités appelées les protecteurs pour les écarter et d’établir les circonstances favorables. LA CEREMONIE La prise de refuge s’accomplit au cours d’une cérémonie simple et brève. On pense parfois qu’avoir foi dans les Trois Joyaux est suffisant et l’on ne comprend pas toujours l’utilité d’une cérémonie. Le rituel répond pourtant à plusieurs nécessités. En premier lieu, grâce aux explications que fournit le lama qui donne refuge, on comprend clairement ce que sont les Trois Joyaux et la fonction de la prise de refuge. En second lieu, la cérémonie implique une participation active de tous les aspects de notre personnalité : notre corps, notre parole et notre esprit. Cette participation donne une grande force, un grand élan, un caractère de sérieux et de profondeur à notre engagement spirituel. Etant donné que dans le domaine relatif toutes les apparences sont le jeu de leur interconnexion, il existe nécessairement un lien entre ce qui est accompli formellement et le sens profond de ce qui est accompli. Enfin, le rituel permet le passage d’une grâce, d’un courant de force spirituelle qui pénètre notre esprit. C’est pourquoi la cérémonie est nécessaire. Son déroulement est très sobre. Celui qui prend refuge marque son engagement en répétant trois fois la formule de refuge, puis le lama lui coupe une mèche de cheveux, lui donne un nom du dharma et lui remet un cordon de protection. La mèche de cheveux coupée est le signe de notre consécration au dharma. Elle symbolise le fait que nous renonçons à notre état d’être ordinaire et que nous avons franchi la porte de la voie du Bouddha. Le cordon de protection représente la grâce du Bouddha qui nous accompagne désormais. Le nom nous identifie comme étant entrés sur le chemin de la libération. Il se réfère toujours à une ou plusieurs qualités de l’éveil. Souvent, il n’est pas possible de déceler un rapport immédiat entre ce nom et notre personnalité actuelle. Parfois cependant, ce rapport apparaît clairement, soit que le lama qui donne refuge possède un pouvoir de claire-voyance particulier, soit par le simple biais de notre connexion karmique avec ce nom. Précisons ici quelques points sur cette cérémonie. En premier lieu, on hésite quelquefois à faire prendre refuge aux petits enfants, car on considère qu’ils ne sont pas conscients de ce qui se passe. Il est vrai que le petit enfant n’a pas la pensée « je voudrais prendre refuge », ou bien « j’ai pris refuge ». Cependant, le seul fait d’entendre le nom du Bouddha et la seule puissance de la cérémonie placent dans son esprit une empreinte très bénéfique. Même si ce n’est pas sur le moment une prise de refuge parfaite, ce n’est jamais totalement inutile. En second lieu, on rencontre dans le vajrayana la notion de lama-racine et l’on se demande si cela se réfère au lama qui nous a donné refuge. Ce sont en fait deux choses différentes. Lama-racine est un terme par lequel on désigne un maîÎtre dont on reçoit des initiations et qui nous guide sur le chemin de la reconnaissance du mode d’être de notre esprit au travers d’une relation privilégiée. La prise de refuge n’implique donc pas que celui qui accomplit la cérémonie doive nécessairement être ensuite regardé comme notre lama-racine. Petit véhicule et grand véhicule sont deux approches différentes des enseignements du Bouddha. Il existe entre elles certaines variations dans la manière de prendre refuge. Dans le petit véhicule, on est seul à prendre refuge, dans le grand véhicule on considère que tous les êtres prennent refuge en même temps que nous. Dans le petit véhicule, on prend refuge jusqu’à la fin de cette vie, dans le grand véhicule jusqu’à l’éveil. Dans le petit véhicule, on prend refuge pour se libérer soimême de la souffrance et obtenir l’éveil pour soi-même, dans le grand véhicule on prend refuge afin de devenir bouddha pour secourir tous les êtres. LES PRECEPTES Prendre refuge c’est déjà s’engager sur le chemin de la libération. On s’efforce donc de respecter un certain nombre de préceptes qui vont nous aider à progresser. Ils sont répartis en trois groupes : Les trois choses à éviter : Ayant pris refuge en le Bouddha, on ne cherche plus la protection des divinités de ce monde, à savoir les esprits des eaux, des montagnes, de la terre, etc. Ce premier précepte n’a évidemment plus beaucoup de raison d’être dans le monde moderne où l’on ne croit guère à ces esprits. Ayant pris refuge en le dharma, on évite toute activité nuisible pour les êtres. Ayant pris refuge en la sangha, on évite la fréquentation des « mauvais amis », ceux qui critiquent vivement le dharma ou dont la conduite est très négative. Leur compagnie nous ferait tomber sous leur influence, risquerait de faire vaciller notre confiance en le dharma et de nous entraîner à commettre des actes négatifs. Les trois choses à adopter Ayant pris refuge en le Bouddha, on accorde respect à ce qui le représente : peintures, statues, photos. Ayant pris refuge en le dharma, on accorde respect aux textes sacrés. Ayant pris refuge en la sangha, on accorde respect à ses membres, tous ceux qui sont entrés sur la voie du Bouddha, tous ceux qui sont les détenteurs des enseignements. Les trois préceptes généraux : On s’efforce : de réciter chaque jour la prière du refuge, avec confiance et sincérité, de faire offrande de choses belles aux Trois Joyaux, de penser qu’on n’abandonnera jamais les Trois Joyaux. Ces préceptes sont très simples et peuvent paraître simplistes. Pourtant, ils sont profonds et si nous les faisons nôtres nous verrons combien ils sont bénéfiques. Par ailleurs, il est clair que prendre refuge ne signifie aucunement rejeter les autres religions, ni même les considérer comme inférieures. L’activité de l’éveil pour le bien des êtres est extrêmement vaste et utilise de nombreux moyens pour les aider autant sur le plan temporel que sur le plan ultime. C’est pourquoi elle se manifeste au travers de nombreuses traditions, qui toutes méritent notre respect. CONCLUSION Si la prise de refuge revêt une si grande importance c’est qu’on ne peut trouver en ce monde de protection contre la souffrance plus efficace que les Trois Joyaux, non seulement sur le plan de la libération mais aussi sur celui de nos difficultés et de nos angoisses quotidiennes. Il est dit que celui qui prend refuge ne renaîtra plus dans les mondes inférieurs, qu’il ne s’engagera plus sur de fausses voies spirituelles, qu’il sera finalement libéré de l’ego, racine de toute souffrance.
24 septembre 2008

Prendre Refuge

Prendre refuge dans l’Eveillé (le Bouddha), l’enseignement (le Dhamma) et la communauté des disciples éveillés (la Sangha) contient une signification profonde. Un refuge est un abri, un endroit sûr. Il yen a très peu dans ce monde. Dans le monde profane il est en fait impossible de trouver où que ce soit, un abri tout à fait certain. Les habitats protecteurs brûlent, sont détruits, disparaissent. Le "Bouddha-Dhamma-Sangha" ne constitue pas un abri physique mais un abri spirituel, c’est pourquoi il peut et doit nous donner la sensation d’avoir enfin trouvé un havre, un havre où la tempête s’est calmée. Dans l’océan, la tempête, les vents et les vagues rendent la navigation très difficile. Mais lorsqu’ enfin le navire arrive au port, l’eau est calme. Dans l’abri du port toutes les vagues et les tempêtes sont apaisées. Le navigateur peut jeter l’ancre. Voilà ce que signifie prendre refuge dans le Bouddha-Dhamma-Sangha. Celui qui n’en comprendrait pas cette signification prendrait refuge en vain. Prendre refuge signifie avoir finalement trouvé l’endroit se reposer. A savoir, l’enseignement qui nous promet sans l’ombre d’un doute qu’il y a une fin à la souffrance, une fin à tous les maux qui accablent l’humanité. L’enseignement, le Dhamma, exposé par le grand maître et perpétué par sa Sangha, nous montre la voie. Dans ce cas, la Sangha désigne ceux qui atteignent l’éveil en suivant l’enseignement du Bouddha mais pas simplement quiconque portant la robe. Tant que cette perspective n’est pas intégrée, ce qui n’implique pas nécessairement avoir expérimenté la libération de la souffrance en question, mais en avoir entrevu sa possibilité, et ancré sa foi et sa confiance dans l’efficacité du Dhamma, prendre refuge ne veut rien dire. Buddham Saranam Gacchami Dans le Bouddha je prends refuge Dhammam Saranam Gacchami Dans le Dhamma je prends refuge Sangham Saranam Gacchami Dans la Sangha je prends refuge. Versets que nous récitons trois fois. Il est important d’en comprendre le sens, sans quoi nous répéterions simplement des mots dans une langue étrangère comme le font les perroquets ne sachant pas ce qu’ils profèrent. Lorsque nous ressentons que prendre refuge devient pour nous une réalité, notre cœur s’ouvre avec dévotion, gratitude et respect envers le Bouddha-Dhamma-Sangha, le maître, l’enseignement et les disciples éveillés venus après lui pour perpétuer l’enseignement. Nous éprouvons de la gratitude parce que la cessation de la souffrance devient disponible. Nous ressentons aussi de la dévotion envers ce qui nous promet une tout autre réalité du monde, et de l’estime pour ceux ayant consacré leur vie à propager cet enseignement. Prendre refuge peut devenir la chose la plus importante de notre vie. Tout ce que nous faisons, nous pouvons l’entreprendre pour le Bouddha-Dhamma-Sangha. En leur nom, je peux facilement transporter des pierres. Elles ne pèsent quasi rien. Mais si je porte des pierres parce que quelqu’un me commande de les déplacer, elles paraissent bien lourdes. C’est un labeur fatigant. Une fois vu que la réalité dans laquelle vit l’humanité n’est pas satisfaisante, en possédant la volonté et la capacité de lâcher prise, il est très facile d’accomplir une tâche au nom du plus élevé, de ce qui nous promet une autre réalité. Prendre refuge dans le Bouddha-Dhamma-Sangha est très souvent fait à la manière des perroquets dont beaucoup participent. Heureusement, maintes personnes également s’engagent avec dévotion, gratitude et respect - respect pour une personne, un être humain qui a été capable d’atteindre l’état le plus élevé qu’un être puisse obtenir et qui a eu la capacité et la volonté d’expliquer cet état afin que d’autres puissent suivre sa voie. Il l’a exposé de telle façon que nous, aussi ordinaires que nous soyons, puissions effectivement le comprendre. C’est un des plus grands actes de génie de l’histoire de l’humanité. Il mérite tout le respect que nous sommes capables de lui offrir. Lorsque nous manifestons gratitude, dévotion et respect, l’amour vient s’y joindre. Ces trois qualités sont liées à l’amour. Nous ne pouvons pas être reconnaissants, dévoués et respectueux envers quelqu’un que nous n’aimerions point. L’amour et le respect vont de concert avec le cheminement spirituel. Ils sont tous deux nécessaires dans toutes nos relations mais en particulier sur le chemin spirituel qui est relation intime, la plus intime que nous puissions avoir, du fait d’être en symbiose avec soi-même. Nous devrions nous engager avec le coeur et l’esprit. L’esprit comprend et le coeur aime. Faute de cela nous ne marcherons que sur une jambe, sautillant de-ci de-là, au lieu d’avancer fermement. Cette instabilité dans notre pratique sera toujours au cœur une source d’insatisfaction et aussi une source de doute et de scepticisme : « Ce que je fais est-il juste ’ ? » ou « Qu’est—ce que je fais ici ? Comment y suis-je arrivé ? Que veut dire tout cela pour moi’ ? Pourquoi ne retournerais-je pas chez moi faire comme tout le monde ? ». Le doute et le scepticisme apparaissent parce que nous sommes chancelants. Aller de l’avant sur une seule jambe est une activité très instable. Il y faut une base solide. Pour avancer, il faut engager pleinement son coeur et son esprit dans chaque action. Cet engagement sans réserve n’est possible que si le coeur s’ouvre. Trouver un refuge, un endroit sûr dans ce monde humain semé d’ennuis, de difficultés, de craintes constantes pour nous—mêmes et pour les êtres chers, produit en tant qu’humain une modalité de vie anxieuse. Trouver un endroit sûr dans l’angoisse intense de l’existence, est extrêmement rare, une chose qui arrive si rarement, qui est si précieuse que la plupart des gens n’en reconnaissent même pas la valeur. Nous parlons des Trois Joyaux, ou de la Triple Gemme (Tirattana), parce que ces Trois - Bouddha-Dhamma-Sangha - sont ce qui recèle le plus de valeur dans tout l’univers. Il ne s’agit pas du corps physique dans lequel le Bouddha est apparu, ni de ceux dans lesquels la Sangha est apparue, ou apparaît, mais ce qu’ils représentent : la transcendance, la réalité absolue, la relation avec un type de conscience surpassant toutes choses. Etre à même de prendre refuge est non seulement une chose rare, cela dénote également un excellent kamma. Il faut une bonne destinée pour en rencontrer la possibilité. Toutefois cet acte ne portera des fruits que si nous prenons refuge par le cœur, et pas uniquement par la parole. Je suis sûre que au moins une fois dans votre vie, vous avez tous été amoureux. Peut-être même plus d’une fois, mais disons une fois... Vous vous souvenez tous de la sensation prouvée surtout si l’amour était partagé. C’était merveilleux l’est-ce pas ? Eh bien c’est ce que vous ressentez lorsque vous limez le Bouddha-Dhamrna-Sangha parce que vous portez les [rois joyaux à longueur de temps dans votre coeur C’est une perpétuelle histoire d’amour. Que peut-on connaître de plus :exaltant ? Tout ce qu’on entreprend est fait au bénéfice du bien-aimé et devient très facile. L’énergie devient alors un phénomène naturel. Il n’est pas nécessaire de la raviver car elle provient de la certitude et de la direction que nous nous sommes données. Il n’est pas nécessaire de la rechercher. L’énergie est simplement disponible parce que notre coeur se trouve complètement engagé dans nos actions. Nous profitons d’un refuge qui promet la fin de chaque petite souffrance ayant pu hanter notre coeur ou qui s’y trouve maintenant, qui promet la fin de toute anxiété, la fin de toutes les peurs, de tous les soucis, jusqu’à la plus petite sensation d’inconfort indiquant que quelque chose ne tourne pas rond -c’est ce que le Bouddha a promis. Si c’est ce qui s’offre à nous, alors, prendre refuge signifie que nous nous sommes engagés dans une relation capable de nous purifier totalement et finalement nous permettre d’être partie prenante de la Sangha éveillé. Seule cette perspective permettra d’en profiter pleinement. La séance de chant quotidienne ne fut pas instituée pour passer le temps, pour dire quelques mots en pali ou pour exercer nos poumons. Rien à voir avec tout ça ! Les trois premiers chants expriment la gratitude, la dévotion et le respect. ( I) ltipi So Bhagava. . . (2) Svakkhato Bhagavata Dhammo... (3) Supatipanno Bhagavato Savakasangho... Le premier s’adresse au Bouddha, le deuxième au Dhamma et le troisième à la Sangha. C’est aussi un moyen d’apprendre l’enseignement par cœur. De savoir par coeur ce que le Bouddha a dit de l’amour (metta) dans le Discours de l’amour bienveillant (Karaniya-Metta Sut ta) : « Que je sois libéré de l’inimitié » (aham avero homi). De savoir par coeur ce que le Bouddha a dit à propos du corps, de la sensation, de la perception, des formations mentales et de la conscience : Sankhittena pancupadanakkhandha dukkha, en bref, les cinq groupes (ou agrégats constituant l’individualité humaine) auxquels nous sommes attachés sont dukkha (souffrance), Seyyathidam, qui s’énoncent ainsi : Rupupadanakkhandho, le groupe d’attachement du corps, Vedanupadanakkhandho, le groupe d’attachement de la sensation, Sannupadanakkhandhole groupe d’attachement de la perception, Sankha nlpadanakkandho, le groupe d’attachement des formations mentales, Vinnanupadanakkhandho , le groupe d’attachement de la conscience. Les mémoriser constitue la première tâche. Cela ne signifie pas nécessairement que nous les expérimentions mais simplement que nous les connaissions. La sagesse a trois niveaux. Le premier est la connaissance. Pour que cette connaissance s’acquière personnellement il faut l’intégrer dans son cœur et essayer de l’actualiser à l’intérieur de soi. C’est ainsi qu’elle devient nôtre. Il ne s’agit plus des mots du Bouddha, ni de ceux du cahier de chant, mais plutôt les nôtres propres. C’est à partir de là que la sagesse sera produite. Le chant est d’une grande aide pour mémoriser l’enseignement, pour éveiller la dévotion et la gratitude. Il possède également un effet calmant. Et, bien sûr, il s’agit aussi d’un effort communautaire. Que nous ayons une voix fausse ou juste n’a pas d’importance, aucune différence ! Le principal est de s’engager avec tout son cœur. La seule chose qui compte c’est le cœur. Si nous prêtons réellement attention aux mots -ce qui est possible si nous les avons bien retenus - nous pouvons alors apprendre beaucoup sur la façon de diriger nos sentiments envers le Bouddha-Dhamma-Sangha. Vous avez tous vu des statues du Bouddha. Il yen a partout, ici même plusieurs. Peut-être en possédez-vous une, ou bien quelques représentations picturales de l’Eveillé. Personne ne sait exactement à quoi il ressemblait. A son époque il n’y avait pas d’appareils photos et à ma connaissance personne n’a exécuté un dessin du Bouddha. Ce que nous voyons dans les statues et les peintures est l’idée que tel créateur se fait de la beauté. Chaque pays développe son propre idéal esthétique. Chaque artiste essaye de représenter le Bouddha comme parfait, et tout ce que vous contemplez est l’idée de cet artiste loin, peut-être, de celle que vous vous faites de la perfection. Ceci dit, créez maintenant, en esprit, votre propre image du Bouddha conforme à votre idée de la perfection. Faites-la aussi belle que possible, avec des rayons dorés en émanant. Beauté ! Créez la chose la plus merveilleuse que vous puissiez visualiser ou imaginer et portez-la toujours au cœur. Il est bien préférable de porter en soi une représentation du Bouddha que n’importe quoi d’autre parce qu’elle nous aidera énormément à aimer les autres surtout si nous pensons que, eux aussi au sein d’eux-mêmes, peuvent abriter la même image magnifique. Ils ne parlent peut-être pas la même langue que nous, ou ne disent pas les choses que nous aimerions entendre mais ils portent le même symbole dans leur cœur. A moins de nous efforcer et de laisser s’épanouir nos sentiments d’amour envers tout ce que nous rencontrons quotidiennement, la partie la plus joyeuse de la vie nous fera défaut. Si nous parvenons à ce degré d’ouverture, nous n’éprouverons aucune difficulté quelle qu’elle soit à être heureux. Un amoureux dont la relation est une réussite arbore toujours un sourire satisfait. Rien de plus simple. Ici, dans le contexte (religieux) la relation ne peut s’avérer décevante. Il s’agit d’une qualité de relation en laquelle l’amant ne s’enfuit pas ni n’est infidèle. Dans notre contexte, impossible d’être déçu. Nous ne connaissons pas encore l’ampleur d’un tel amour, c’est à dire que nous ne sommes pas encore à même de sonder la profondeur du Bouddha-Dhamma-Sangha. Celle-ci ne se dévoilera totalement que lorsque nous parviendrons à la complète illumination. Il n’y a donc aucun risque que nous tombions dans l’erreur d’une déception comme lorsque, par exemple, untel ou untel ne se comporte pas de la manière dont nous l’attendons. Voilà une relation de type transcendant, d’un autre monde. Elle ne dépend pas d’un être humain qui va sans aucun doute mourir, qui est sans aucun doute imparfait. Nous sommes là en présence d’une perfection très difficile à trouver dans le royaume humain, ou dans tout autre. Quel privilège de croiser cette chance ! Certains d’entre nous n’ont pas de relation innée avec le Bouddha-Dhamma-Sangha. Ce n’est pas forcément un grand désavantage, car ce qui est inné depuis la petite enfance est souvent considéré comme déjà gagné. Si cette relation est considérée comme acquise, elle n’aura pas l’impact nécessaire. D’un autre côté, nous avons la possibilité d’approfondir cette relation telle qu’elle est vraiment, bien sûr nous devons en faire l’effort. Lorsque je dis " faire l’effort", cette volonté ne consiste pas à essayer d’aimer, mais à essayer de voir, d’ouvrir toute notre perception à ce qui nous arrive ici même dans notre vie. Dans les moments où nous sommes capables de nous ouvrir totalement à cette relation et de voir clairement les choses, cette qualité d’amour dans le lien se manifestera. Nous n’avons pas besoin de faire d’effort pour être dévoués, reconnaissants, ou respectueux. Lorsque nous comprendrons clairement ce que le Triple Joyau nous offre ces sentiments découleront automatiquement. Voyant ce qui possède la plus grande beauté et la plus haute pureté, la plus grande sagesse - lorsque nous le contemplons véritablement - nous ne pouvons nous empêcher de l’aimer. Il faudrait être insensé pour ne pas l’aimer et nous ne le sommes certainement pas puisque nous sommes là. Soyons très reconnaissants d’être ici par la grâce d’un bon kamma. Nul besoin de nous en féliciter par quelques bourrades de satisfaction ne sachant même pas si cet effet est le fruit de cette existence ou, peut-être, le résultat d’actes courant sur de nombreuses vies. De toutes façons la personne qui a créé le kamma et celle qui en récolte les résultats ne sont certainement pas les mêmes. Quoique n’étant pas différentes non plus ! La réponse réside au milieu, a dit le Bouddha. Aussi, louons ce kamma, ses résultats impersonnels, et exaltons notre coeur pour prendre refuge. Nous pouvons enfin, dans une situation sécurisante, jeter l’ancre et travailler à notre développement intérieur. Le Dhamma protège son pratiquant. Quand quelqu’un s’exerce réellement aux enseignements, il est complètement protégé. Non parce que les autres ne l’approchent pas, mais il se trouve hors de danger parce que ses propres réactions sont adéquates. C’est la seule véritable sécurité. Chaque fois que vous chantez, Buddham Saranam Gacchami, créez un beau Bouddha dans votre coeur. Il vous aidera à vous laisser envahir par le sentiment d’amour éprouvé lorsque nous expérimentons une liaison profonde et une vraie communication avec la personne aimée.
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18 septembre 2008

la compassion et la vie

la compassion et la vie Compassion vis à vis de soi-même. Soi-même, sa propre personne est une identité apparente qui n’a de sens que pris globalement en relation avec tous les autres êtres animés et inanimés de l’univers. Si un individu se considère comme un être à part, un microcosme indépendant, il va s’enfermer dans l’égocentrisme et risque de perdre tout contact avec le reste de l’environnement, de son origine. Il glisse ainsi insidieusement vers le cloisonnement, l’isolement puis vers la souffrance. Pourtant dès la naissance, l’Homme reçoit un nom et prénom. C’est un paradoxe de la part des parents ou de ses proches que de vouloir l’identifier à tout prix. On lui apprend à prononcer le ‘je’, à user et à abuser du ‘moi’, à nourrir son corps, à le défendre et à le mettre au premier plan envers et contre tout. Il finira ainsi par croire que les cellules de son corps et les gènes qui s’y trouvent lui sont propres. Il ne peut donc être que différent des autres. En toute logique, on devrait le considérer comme une entité à part, oubliant de ce fait que nous sommes tous constitués des mêmes éléments de base, azote, hydrogène, oxygene et carbone. En l’incitant ainsi à penser toujours à soi-même il finira par devenir égoïste, narcissique. Il va oublier ce fait évident qu’on existe que dans le regard des autres, sinon qui qui ira lui dire qui est-il ? On lui donne l’impression que le monde gravite autour de son nombril, que sans lui il n’y aurait point de repère. Cependant il faut bien soulever la question de savoir à quoi correspondre ce soi-même ? Avec le développement embryonnaire depuis la fécondation des gamètes mâle et femmelle, ovule et spermatozoïde, jusqu’à la formation du fœtus à trois mois de vie in-utero, nous sommes un assemblage de systèmes (cardio-vasculaire, digestif, neuro-musculaire, uro-génital et encéphalique) enveloppé dans un sac cutané, avec une certaine forme, une certaine identité à la manière d’une automobile de modèle et de couleur différente ou d’un bateau d’aspect et de tonnage divers mais possédant le même fond intérieur, la même mécanique... A ces éléments physiques, s’associe un élement central intégrateur, qui est son Soi mental responsable de la gestion de tout, à la manière d’un conducteur d’automobile, d’un commandant de navire, d’un chef d’entreprise... Pour faire fonctionner et guider cette entité, cette identité, nous serons bien obligés à se référer aux éléments autour de nous, surtout devant nous, comme un automobiliste devant sa pare-brise pour conduire. Imaginons la catastrophe si ce dernier ne regarde que son nombril tout en conduisant ! Nous sommes comme une machine mais avec cette différence avec les animaux est que nous sommes pourvus d’un pouvoir de décision. Si elle est bonne, nous sommes heureux, mauvaise et nous en souffrons, bonne si notre Soi est intégré dans le tout, mauvaise si nous croyons que notre Soi est unique. Faut-il dans ce cas éliminer notre Soi, sacrifier notre identité, notre personnalité pour se mettre au service des autres ? Le but ultime de l’homme serait-il le dévouement total à la communauté ? Une telle opinion serait également erronée car malgré notre base biologique commune, il ne faut pas oublier que nous sommes génétiquement différents les uns des autres, depuis la première division cellulaire de l’œuf fécondé dans son sac gestationnel. Dans l’utérus de notre mère, chacun de nous reçoit un nutriment différent, s’imprègne d’une ambiance différente. On conçoit ainsi que les êtres humains ne puissent jamais se ressembler totalement. Nous sommes semblables car pourvus de deux yeux, deux oreilles, un nez, une langue, un cerveau, mais nous ne sommes pas identiques car nous ne sommes jamais constitués en même temps et de la même manière. De ce fait il est évident qu’il nous faut un effort de rapprochement pour conserver une bonne homogénéité. Conscients de notre différence les uns par rapport aux autres, nous devrions nous prendre en considération convenablement, afin de mieux réaliser l’harmonie avec nos semblables. Ainsi se nourrir et respecter une bonne hygiène de vie serait notre premier devoir. Un individu qui tombe malade par négligence et se retrouve à la charge d’autrui serait fautif d’abus de confiance. La compassion vis-à-vis de soi-même consiste donc à veiller à ce qu’il n’oublie jamais son appartenance à un ensemble, à un tout sans lequel il ne serait rien, sans aucune valeur réelle. En dehors de cette considération, tout est fictif et illusoire, tout ne serait que le produit de son esprit et de son imagination. Pourtant avec les impératifs de la vie, l’homme est obligé de lutter, de s’adapter. Il s’oblige à l’apprentissage ou à l’adaptation. Ce temps d’adaptation en fait ne se termine jamais. Il est permanent, indéfini car il doit répondre à l’impermanence des choses. Il est ainsi obligé à surveiller ses faits et gestes. Cette conscience comportementale forcement égocentrique va amener notre conscience, notre mental à se fixer sur soi-même et à oublier l’ environnement. Ainsi l’homme est certes bon à la naissance mais la vie durant, avec tous ses besoins il va être amené à devenir égocentrique. Il va penser par habitude à soi-même. Quand il regarde les autres, souvent il ne pense que selon lui et pour lui. Il va avoir peur de perdre, de manquer et c’est le début de l’attachement, de l’accumulation, de la cupidité c’est à dire de la souffrance. Cette angoisse de la vie se met en place progressivement depuis la naissance, lorsque le nouveau-né quitte le ventre de sa mère. Son premier cri sera un cri de panique. Sa première inspiration, son premier bol d’air certes vont le remplir de vie mais ils vont aussi commencer à charger son corps et son âme des malheurs de cette vie. Compatir à soi-même reviendrait à se défaire de ces mécanismes d’apprentissage à contre sens. Il faudrait qu’il se souvienne, qu’il réalise que la bonne communication, celle qui permet d’éviter les désagréments, la souffrance, se fera de soi à autrui. Toute tentative de garder pour soi, secret biens savoir-faire ne pourra que surcharger son fardeau. Par ailleurs il a toujours su que tout ce qu’il possède n’aura plus aucune valeur le jour de sa mort. En ouvrant son soi aux autres, nous pouvons l’asseoir sur un ensemble d’êtres plus stable. Cette ouverture faciliterait aussi une meilleure intégration par la suite. Dans le cas contraire il faut assumer soi-même tout le poids de son équilibre, sans aucun repère, dans l’insuffisance de ses limites. Nous voyons bien que la vanité mène à l’aveuglement, l’humilité est le début de la sagesse et de la reconnaissance de la nature véritable de son soi. Pour combattre cette tendance égocentrique qui se met en place depuis l’origine, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse, dans l’ascétisme hindouiste ou comme avec une certaine pratique spirituelle chrétienne d’autoflagellation. Compatir à soi-même reviendrait donc à toujours se rappeler que la seule voie de libération possible ne peut être que celle de l’altruisme, de la générosité et de l’abstraction de soi. La compassion vis à vis de soi-même consiste donc à empêcher la mauvaise orientation de ses pensées, à surveiller l’éclosion de ses émotions, qui ne cessent de surgir à chaque instant, à chacune de nos réactions aux phénomènes de la vie. Il faut bien comprendre que son soi n’est pas une entité propre sinon nous tombions dans le piège de son imagination. De ce fait il est parfaitement futile et illogique de s’acharner à vouloir l’effacer, le martyriser, dans l’espoir d’accéder à la bonne voie, le bonheur. Ce serait tomber d’un extrême à un autre. Le soi raisonnant est l’esprit. L’esprit ne peut être qu’une réaction à notre environnement. C’est en le gardant en harmonie avec les autres que nous nous détacherons du poids de la souffrance. Cette souffrance n’est rien d’autre que ce sentiment d’égarement, d’angoisse qui ne cesse de nous tirailler. L’angoisse est le propre de l’homme, de celui qui souffre. Se libérer de l’angoisse est le but de la vie, le rêve de tout un de nous. En cas de blocage certain a même recours au médicament anxiolytique, tranquilisant, espérant trouver une solution aux problèmes. Mais il faut toujours se rappeler que l’angoisse n’est qu’une création de l’esprit. Le médicament pour être efficace devrait aider l’individu à prendre conscience de la relativité des choses. Il n’est qu’un moyen et ne peut en aucun cas se substituer à soi pour trouver la solution définitive. Cette dernière ne peut venir que de soi-même. Le bouddhisme a toujours insisté sur le travail à réaliser sur soi-même, par la pratique de la méditation. C’est dans le calme de l’esprit que l’homme peut observer la formation, la déformation et la cessation de ses pensées. Sortir des zônes de souffrance avec la turbulence de la vie, est l’espoir de tous les êtres de l’univers. Nous croyons tous au bonheur, au paradis, au nirvana. Compatir à soi-même consiste donc à aider l’individu à garder sa vraie place, à bien orienter son esprit ou à le remettre dans le bon sens en cas d’égarement. Cependant il peut sembler toujours contradictoire de parler de compassion vis-à-vis de soi-même. A première vue, tout sentiment envers soi-même releverait de l’égoïsme. Cette conscience de soi vient de ce moi qui bouge, qui marche, qui mange, qui dort. Du fait de ses faits et gestes, il prend conscience des autres. Ainsi sans cette conscience de soi, les autres ne pourraient exister. Puisque nous sommes tous interdépendants, tout deviendrait relatif. Sans cette notion de soi, il serait impossible pour un être humain d’expérimenter le malheur ou le bonheur. Il sera comme un animal, une plante, se contentant d’exister et d’obéir à la loi universelle, le dharma, sans état d’âme. Le Soi cependant n’est pas tout à fait une entité illusoire. C’est l’idée qu’on a d’un Soi permanent et indépendant qui est illusoire. Illusoire si on le croit d’une certaine valeur réelle, tangible ; illusoire si on le croit différent du reste du monde. Comme le centre n’a de sens que couplé à un cercle. Sans le périmetre, ce dernier n’est qu’un point parmi tant d’autres. Le Soi sert aussi de référence dans toute communication entre différents acteurs de l’univers. Isoler le soi comme dans l’égocentrisme revient à lui en couper toute liaison. Ce soi nous permet d’apprécier ou mieux d’appréhender le monde. De la qualité de son observation, de sa perception, de sa compréhension conception, dépend la bonne marche, la bonne harmonie du monde. Si le Soi est pourvu de toutes les qualités requises comme un bon chef d’orchestre avec ses meilleurs éléments, on aurait la meilleure musique jamais imaginée, le vrai chant de la nature. Dans le bouddhisme, ce soi et sa conscience font partie des cinq agrégats ou skandhas qui constituent l’identité de l’être humain. Mais il faut immédiatement insister sur son caractère hautement labile, dépendant des conditions d’apparition. De ce fait il est non existant dans l’absolu du fait de l’impermanence et de l’interdépendance de toute chose, il est donc illusoire. C’est avec la bonne compréhension de ce Soi qu’on accède ou non à la vacuité. Les phénomènes de la vie dont le bonheur, le malheur ne peuvent être évoqués qu’en présence du Soi. Si le Soi parvient à s’intégrer à l’ensemble de la nature, les phénomènes s’évanouissent instantanément faute de partenaire. Le dualisme a disparu. C’est le retour à l’unique, le vrai nirvana ou le vrai paradis, avec absence de souffrance, le bonheur n’étant plus indispensable. Ainsi le vrai problème n’est pas d’éliminer son Soi. Il consiste surtout à mieux le guider, à mieux orienter son regard, à mieux déployer ses antennes de perception. Tel un guetteur des voiliers des temps anciens, suspendu en haut sur le mas ou un éclaireur dans les opérations militaires ou un explorateur, le Soi et son esprit doivent être constamment à l’écoute, à observer ses alentours. On ne peut conduire un bus en regardant ses pieds. De même les yeux ne peuvent se regarder entr’eux, on ne peut voir en même temps dehors et dedans. On ne peut vivre non plus raisonnablement en s’isolant entre les quatre murs. Pourtant c’est ce que font actuellement les gens, et ce malgré le formidable développement des moyens de communication. Peut-être le tort dans notre monde dit de progrès vient du fait que nous privilégions les phénomènes dits concrets, des preuves objectives, perceptibles par nos organes de sens. On exige des images concrètes pour les yeux, des sons audibles pour les oreilles, une odeur nette pour le nez, un goût identifiable par la langue, une sensation palpable pour le toucher. Noyé dans ce déluge de sensations et étouffé par le mirage du média, l’esprit s’accroche à son identité, à ses sentiments, croit détenir la vérité et se laisse glisser insensiblement dans la mauvaise voie. Les sensations donnent naissance à des émotions qui à leur tour nous entraînent dans des perturbations avec des hauts et des bas comme ces vagues dans l’océan qui apparaissent puis disparaissent, qui montent et qui descendent, dans un flux et un reflux incessant, permanent, infini. La vie sera ainsi toujours superficielle, comme ces remous de surface, variant avec les caprices du vent, ballottante, changeante, indéfinissable, mais toujours loin de la sérennité des profondeurs. La compassion pour le Soi consiste à toujours rappeler à l’individu que son véritable origine, le vrai but de sa destinée ne peut être qu ‘avec tous les facteurs environnants, ensemble, dans l’harmonie, le partage et le respect de tous. Il est très curieux de constater que l’homme dès la naissance a un comportement qui laisse entendre qu’il va vers son auto destruction. Il mange sans s’assouvir, se laisse toujours emporter par l’engouement de ses sens. Cette forme d’autosuicide se retrouve dans sa passion pour la vitesse, sa tendance belliqueuse. Il est sans cesse attiré vers la mort tout en niant, en ne voulant pas y penser. Cette attitude témoigne d’une déconnnection entre son esprit et les réelles sensations de son corps. Peut-on dire que l’homme soit foncièrement négatif ? Auto destructeur ? Est-il comme une batterie qui ne fait que se décharger progressivement ? Le bouddhisme est conscient du poids de ce penchant négatif de l’homme, pessimiste, suicidaire. Il connaît aussi la tendance naturelle à la paresse, au moindre effort et à la facilité d’un grand nombre d’individus. Il reconnaît que l’homme préfère souvent descendre la pente des montagnes que de l’escalader, pour atteindre le sommet, là où nous pouvons tout voir, mieux réaliser. Il relie ce fait à la notion de karma, cette absence de volonté de se libérer du cycle des renaissances, le samsara. Afin d’échapper à ce cycle infernal, il recommande la pratique de la méditation qui permet de mieux contrôler le fonctionement de l’esprit, de limiter le débordement affectif, émotif qui pourrait avoir une mauvaise influence dans toute prise de décision de nos actes et dans notre mode de pensées. La méditation permet aussi d’observer la genèse et l’évolution de nos sens et nous évite de tomber dans le piège des illusions. L’église chrétienne a d’emblée reconnu le mauvais penchant de l’homme, le péché originel d’Adam qui à travers la désobéissance d’avoir mangé la pomme, cache l’orgueil, première étape de la remise en question de la suprématie de Dieu. Elle s’emploie à le reconduire vers la foi au Créateur par la pratique des sacrements, de la charité envers ses semblables démunis. Le seul moyen pour unir les gens entr’eux est de leur rappeler la même origine et le même destin de tous les êtres. Si dans la nature, tout le monde se tourne vers le soleil, qu’il soit plantes fleurs homme ou animaux, si souvent nous levons les yeux au ciel chaque fois nous avons une demande à faire, un problème à résoudre, un souhait à formuler, ne serait-ce pas là la preuve de notre appartenance à une seule et même origine ? La compassion envers Soi même consiste donc à lui conserver cet aspect unitaire hors du quel nous ne serions rien, c’est à dire purement imaginaire. Chaque fois que nous avons une impression de, que nous éprouvons une impression de, il faut toujours veiller à sa provenance. Si elle est issue de soi même envers son interlocuteur, nous risquons de lui coller un point de vue qui ne serait peut-être pas la sienne. Il faut toujours veiller à notre bonne compréhension d’autrui dans un esprit de détachement, d’impartialité et de dévouement. C’est la Compassion et le vrai Soi.
10 septembre 2008

introduction au ZEN

On pense très généralement que le Zen est différent des autres approches du Bouddhisme. Cette impression fausse a probablement son origine dans des développements récents en Chine et au Japon. Le mot japonais "Zen" vient du mot chinois "Ch’an", lequel vient du mot sanscrit "Dhyana" (Jhana en Pâli) et signifie "méditation". Dhyana fut introduit en Chine, en provenance de l’Inde, vers le 6ème siècle après J.-C., probablement par Bodhidharma. Mais en Chine, puis plus tard au Japon, son exercice subit des modifications considérables, au point de le rendre méconnaissable, à cause du caractère et de la culture de ces deux pays, de telle sorte que cette tradition est de nos jours, généralement considérée comme chinoise ou japonaise. Cependant, l’esprit du Bouddhisme originel dont la source est en Inde, reste sous-jacent dans le vide du Zen. En effet, ses principes fondamentaux trouvent leur origine dans l’enseignement et les idées des Textes Canoniques. D’importantes doctrines considérées par les ignorants, comme typiquement Zen, sont en complète harmonie avec l’enseignement et la tradition Thera-vâda. Par exemple, le Zen prétend que la réalisation du "satori" (illumination ou éveil) ne se trouve pas dans les textes, qu’il est impossible de réaliser l’expérience du satori par la seule lecture des sutras et qu’on ne doit pas s’attacher à la lettre de la Loi. Ceci ne signifie nullement que l’on ne doit pas étudier les sutras ou les textes. Tous les maîtres Zen ont été et sont encore des érudits en matière de textes. Comme le Dr D.T. Suzuki l’a fait remarquer d’une façon humoristique : "Le Zen prétend être une transmission spécifique en marge des textes et être allergique à tout verbalisme, mais ce sont les maîtres Zen les plus bavards et les plus prolixes en écrits de toute sorte". L’idée que la réalisation de la Vérité (Nirvâna) ne peut être atteinte par la seule étude du Dhamma est une doctrine essentielle du Thera-vâda. Mais la connaissance du Dhamma (pariyatti) est un outil nécessaire. Bien entendu, cette connaissance seule ne peut suffire. Elle doit être mise en pratique dans la vie de tous les jours (patipatti). D’après le Dhammapada (vv 19.20), celui qui connaît les textes à fond, mais ne met pas cette connaissance en pratique est comme un homme qui compterait les vaches de son voisin ! Celui qui est moins érudit mais qui met en pratique ce qu’il a appris en tirera joie et bénéfice. D’après la tradition Thera-vâda, la personne qui étudierait les textes sans utiliser ses connaissances pour s’enrichir spirituellement, ferait mieux de dormir que de perdre son temps à l’étude des textes. Le Dhamma (l’enseignement) est comparé, par le Bouddha, à un cadeau (Kullupana) dont le seul but est de nous faire traverser la rivière et non pas de devenir un objet d’attachement, (nittha-rantthaya no gahanatthaya). Si l’on se contente de s’asseoir sur le radeau sans le diriger convenablement et sans ramer, on n’arrive jamais sur l’autre rive. Une fois l’autre rive atteinte, il est sans objet d’emporter le radeau sur son dos sous prétexte qu’il a rendu service. Il vaut mieux le laisser pour qu’il soit utilisé par quelqu’un d’autre. Il serait par contre ridicule de le brûler, de le détruire après qu’il a servi. Un moine Zen érudit nommé Tokusan (782-865), spécialiste du Sutra de Diamant, aurait, dit-on, brûlé le sutra et toutes ses notes, apparemment par mépris, après avoir obtenu "l’éveil soudain". Sa longue étude du sutra était probablement en grande partie responsable de son prétendu "éveil soudain". Un autre thème important du Zen est qu’il vise à se concentrer sur l’esprit. C’est en d’autres termes la même chose que signifie l’expression pâli sacchikaroti qui veut dire "voir avec ses propres yeux", "expérimenter directement". Ainsi, le Dhamma également (la Vérité) "doit être atteint par le sage solitairement, dans sa solitude intérieure" (paccattam verditabbo vinnuhi). Le thème le plus important du Zen est la réalisation de la Bouddhéité par la vision directe de sa propre nature. Cette vision "dans sa propre nature", ou " dans la Vérité", apparaît dans les textes pâlis dans des expressions comme nanadassana (voir avec sagesse), cakkhum udapadi (l’oeil était né ouvert), panna udapadi (la sagesse apparut), aloko udapadi ( la lumière apparut). Dans la phraséologie Zen, on devient un "Bouddha" en réalisant le satori. Le sens qui est donné ici au mot "Bouddha" n’est pas le même que celui du Bouddha Gotama qui était un Sammâsambouddha (parfaitement et pleinement illuminé). Il serait flatteur de penser que n’importe qui peut devenir aussi extraordinaire que le Bouddha Gotama, simplement en réalisant le satori, quel que soit le sens exact de ce mot. Ici, le mot "Bouddha" est utilisé dans son sens le plus restreint de "l’Eveillé" ou "Illuminé" (de la racine budh=éveiller"). Quiconque a réalisé la Vérité (nirvâna) pourrait être appelé "bouddha" dans ce sens, d’après la tradition thera-vâda. L’upasakajanalankâra, traité pâli s’occupant de l’éthique des laïcs et écrit au 12e siècle ( ?) par un Thera nommé Ananda (dans la tradition Thera-vâda du Mahâvira d’Anuradhapura), déclare que si un disciple atteint l’illumination (shravaka-bodhi) il est dès lors un Shravaka-Bouddha. Dans le theragatha même, le terme de sambodhi (plein éveil) est utilisé pour définir la réalisation de l’état d’arhat par un thera. Le Commentaire dit qu’à cet endroit, le terme sambodhi signifie arahatta (état d’arhat). Même un Sammâsambouddha est un arhat (arahamsammasam-bouddho). Thera-vâda et Mahâyâna sont d’accord en ce qui concerne vimutti (ou vimukti) à savoir, émancipation libération ; c’est à-dire en ce qui concerne l’état d’arhat et la libération des souillures. Il n’y a pas de différences entre le Sammâsambouddha( Samyaksambouddha en sanscrit), le Paccekabouddha (Pratyekabouddha, en sanscrit) et un Savaka (Shravaka, en sanscrit), c’est à dire un disciple qui est libéré (ayant atteint l’état d’ahrat). Un Sammâsam-bouddha est supérieur à un Paccekabouddha et à un disciple libéré dans le domaine de la connaissance et la possession d’innombrables qualités, talents et potentialités. Même si un disciple ayant réalisé le Nirvâna, ayant atteint l’état d’arhat, peut être appelé "Bouddha", le Thera-vâda, sans doute par discrétion, n’utilise pas ce terme avec la générosité dont fait preuve le Zen à l’égard de ceux qui sont supposés avoir réalisé le Satori. (Le Zen insiste beaucoup sur la soudaineté de la réalisation du satori comme s’il s’agissait là d’une qualité particulière et fait état de nombreuses histoires qui illustrent ce fait. Par exemple, le maître Zen Reiun, après trente années d’entraînement et de discipline sévères, atteignit le satori à la vue d’une modeste fleur de pêcher épanouie. Maître Kyogen, après une quête longue et ardue, eut son satori en entendant le bruit d’un caillou frappant une tige de bambou. Un autre maître Zen du nom de Mumon avait pratiqué, pendant six années, une discipline de méditation sévère sur le fameux koân Mu ou Vide (néant) sans résultat. Un jour, il entendit le roulement du tambour qui annonçait l’heure du repas et réalisa soudainement le satori. Les exemples de ce genre ne manquent pas dans les commentaires pâli, soit "d’éveils soudains" ou des "réalisations soudaines de l’état d’arhat". Un acrobate, nommé Uggasena, se tenant en équilibre sommaire au sommet d’un mât de bambou, crut entendre le Bouddha prononcer les paroles suivantes, ressemblant à un koân Zen : "Largue devant, largue derrière, largue au milieu, au-delà de l’existence avec un esprit totalement libéré, tu ne reviendras pas pour naître et mourir". Un thera nommé Usabha, vivant dans une grotte au pied d’une montagne blanche, fut pris d’un profond dégoût pour l’existence parce qu’il n’arrivait pas à se débarrasser d’impures idées de convoitise. Au moment où il se préparait à se suicider, en se jetant dans le vide du sommet d’un rocher, il atteignit l’état d’arhat. Le jeune prince Vitasoka, jeune frère de l’empereur Asoka, était un élève de Giridatta Thera et connaissait bien le Dhamma (dharma, en sanscrit). Un jour, il prit le miroir que tenait le barbier en lui taillant sa barbe et apercevant son visage par réflexion il atteignit l’état de Sottapatti (entrée dans le courant) Plus tard, il se fit bikkhu sous l’autorité de ce même maître et atteignit l’état d’arhat. Baghu Thera, afin de vaincre une somnolence tenace, sortit de sa cellule et, comme il pénétrait dans le cloître pour méditer (Cankama, marcher), il atteignit au même moment l’état d’arhat. De même, une religieuse (theri) d’âge avancée, nommée Dhamma Theri, revenait de sa tournée d’aumônes quand elle tomba par terre. Soudainement et inopinément, son esprit fut libéré. Siha theri, soeur du général Siha, n’était pas arrivée, après sept années de méditation sérieuses, à trouver la paix de l’esprit. Très désappointée et écoeurée de ne pouvoir trouver cette paix, elle décida de se pendre. Ayant attaché une corde à une solide branche, elle passa la tête dans le noeud coulant. Et tout d’un coup, elle réalisa la vérité et devint Arhat. Patacara Theri avait atteint l’état de sotapatti et visait des états plus nobles. Un jour qu’elle se lavait les pieds dans une bassine, elle vit un peu d’eau disparaître dans le sol. A trois reprises, elle vit ainsi l’eau disparaître dans le sol. A cette vue, elle fut complètement fascinée par la pensée de l’impermanence et la façon dont les agrégats apparaissent et disparaissent. Perdue dans ses pensée, elle aperçut le Bouddha qui lui parlait : " Un seul jour de la vie d’une personne qui perçoit le flux et le reflux (des choses conditionnées) est plus utile que les cent années de la vie de quelqu’un qui ne percevrait rien". Au même moment, Patacara atteignit l’état d’arhat. Bien que la réalisation de l’Eveil, de l’Illumination, de l’Emancipation dont il fait état dans ces histoires Zen et Thera-vâda ait l’air d’être soudaine, il n’en est rien en fait. Dans ces exemples comme dans beaucoup d’autres, l’éveil "soudain ou subit" n’intervient qu’après une très longue période de sévères discipline, entraînement, lutte et pratiques, sinon dans cette vie, peut-être dans une vie ou des vies antérieures conformément à l’enseignement et à la croyance bouddhiques. L’événement n’est soudain que parce qu’il ne peut être ni prévu ni programmé, ni fixé par un acte volontaire : personne ne peut décider qu’après un certain nombre de semaines, de mois ou d’années de discipline et de méditation, l’éveil se produira à une date et une heure données. Cet événement se produit au moment le plus insolite, dans des conditions que l’on avait jamais envisagées, quelque fois d’une façon presque dramatique. Mais, ce moment finit par arriver, résultat d’une lutte et d’un entraînement éprouvants et longs. Les Maîtres Zen admettent eux-mêmes que "tout le monde ne peut pas espérer avoir l’entraînement suffisant pour réaliser l’expérience merveilleuse du Satori."
3 septembre 2008

Les quatre nobles

La première vérité : la vie est souffrance (doukkha) Représentation du Bouddha Cette première vérité repose sur une simple constatation : la vie est souffrance (doukkha). Cette souffrance vécue par l’homme est l’inévitable conséquence de la vie. Le terme doukkha représente bien plus qu’une simple souffrance physique ou psychologique. Il comprend également les notions d’imperfection et d’impermanence. Il s’applique donc à toutes les manifestations du monde. L’impermanence est le caractère transitoire de toute chose : une idée surgit puis conduit à une autre ou disparaît, un sentiment positif est remplacé par un sentiment négatif, un être naît, grandit, vieillit et meurt, la matière au contact d’autres éléments se transforme. Ce ne sont pas seulement les choses négatives qui sont doukkha, mais tout ce qui est impermanent, plaisir et déplaisir sont doukkha, jouissance et abstinence sont doukkha. La deuxième vérité : la cause de doukkha est l’attachement Le bouddhisme insiste sur le fait que la souffrance n’est pas le résultat d’une quelconque fatalité, ni l’expression d’un être supérieure. Il y a doukkha quant il y a manque, quand il y a volonté d’obtenir, quand on obtient pas ce que l’on veut. La notion d’attachement est importante, car elle montre bien le lien et la dépendance d’une chose sur une autre. Il suffit, pour une raison ou pour une autre, que ce lien ne s’établisse pas, ou qu’il s’interrompe ou que l’une ou l’autre des choses liées disparaisse, pour qu’il y ait doukkha. Cet attachement concerne aussi bien le désir des sens, les éléments matériels que les idées ou les croyances. La troisième vérité : doukkha cesse quand l’attachement cesse Il ne s’agit pas de rompre l’attachement aux choses et aux idées. Il ne s’agit pas de renoncer ou d’abandonner le monde pour s’enfermer dans un monde pure. La cessation de doukkha ne peut être durablement obtenue que par l’identification et la compréhension des processus de causalité. Il s’agit d’un travail de connaissance du monde, mais surtout de connaissance de soi. Il ne s’agit pas d’être coupé du monde, mais au contraire de disséquer et intimement comprendre ce processus de causalité. La quatrième vérité : il existe une méthode pour que doukkha cesse La voie du bouddhisme prône la connaissance de ce processus de causalité. Si elle est appelée voie du milieu, c’est parce qu’elle se situe entre-deux extrêmes, constitués d’un côté par l’unique jouissance des sens physiques et de l’autre côté par l’abstinence de toute forme de plaisirs. Ayant compris la source et l’objectif de nos sentiments, attirances ou répulsions, l’homme agit de manière à contrôler, orienter les effets de son action et de ce fait parvient à éviter la souffrance. La méditation prônée par le bouddha fait partie des nombreuses techniques permettant de ne pas subir la causalité et l’impermanence. En veillant à constamment rester dans le présent (plutôt que de penser aux évènements passés ou à se projeter dans l’avenir), l’homme peut contrôler ses pensées et arrêter le cycle impermanence - attachement.
2 septembre 2008

introduction

Selon la tradition, le Bouddha historique a vécu en Inde de 563 à 483 av. J.-C. Son père était le dirigeant du clan des Sakya, d’où son nom Sakyamuni, qui veut dire « le sage du clan des Sakya ». La légende qui entoure son existence fait état d’une conception et d’une naissance aux caractères miraculeux. Représentation contemporaine du Bouddha Sa mère, Maya, l’aurait conçu lors de son sommeil, en rêvant qu’un éléphant blanc entrait dans ses côtes droites. Par ailleurs, elle lui aurait donné naissance debout, alors qu’elle cueillait un fruit dans son jardin. L’enfant émergea des côtes droites de Maya, et tout de suite, fit sept pas. Une fois rentré au palais, il fut présenté à un astrologue qui prédit qu’il deviendrait, soit un roi, soit un leader religieux. Ses parents décidèrent donc de l’appeler Siddhârta, « celui qui atteint ses buts ». Son père, qui craignait que tout contact avec les dures réalités de la vie pousserait le jeune Siddhârta à choisir une vie d’ermite religieux faite de renonciations, lui interdit tout contact avec l’extérieur du palais... Les ravages de la pauvreté, de la maladie et de la vieillesse étaient donc inconnus du prince Siddhârta, qui grandit dans le confort et la quiétude du palais familial. Mais à l’age de 29 ans, il fit, à l’insu de son père, trois excursions en dehors des murs du Palais. Il rencontra alors un vieillard, un malade et vit le corps d’une personne décédée. Surpris et dérangé par ses découvertes, il entrepris une quatrième sortie et fit connaissance d’un sage itinérant. Siddhârta décida de suivre cet exemple et de mener une vie d’ascète. Sachant pertinemment que son père,qui le destinait à sa succession, s’opposerait à sa décision, il s’enfuit discrètement du palais après avoir offert ses possessions à ses serviteurs. Abandonnant totalement sa vie luxueuse, il mena pendant 6 ans une vie d’ascète, tentant à travers divers disciplines du yoga de se détacher des plaisirs charnels. Mais après une si longue pratique de rigueur et d’abstention, il tomba gravement malade. Il accepta alors un bol de riz que lui offrait une jeune femme qui le prit en pitié. Après avoir mangé, il réalisa que l’ascétisme ne pouvait être la voie vers la libération des souffrances et l’illumination. A un endroit connu sous le nom de Both Gaya (le lieu de l’illumination), il s’assit au pied d’un banyan et médita. Après avoir vaincu pendant la nuit les forces du démon Mara, Siddhârta atteint l’illumination et devint un Bouddha (l’illuminé) à l’âge de 35 ans. Il continua ensuite à méditer, assis sous l’arbre, puis debout. Durant la cinquième semaine, il fut entourée d’inondations provoquées par des pluies torrentielles, mais fut protégé par les anneaux du roi serpent Mouchilinda. Après sept semaines, il décida d’arrêter sa méditation pour partager ce qu’il avait appris et encourager d’autres personnes à suivre sa voie, la voie du milieu. Il donna son premier sermon dans une forêt remplie de cerfs, située aux alentours de la ville de Bénarès. Rapidement, de nombreux disciples le suivirent, et le Bouddha passa les 35 années suivantes de sa vie à parcourir le Nord de l’Inde pour partager son enseignement. Bien que Bouddha ne se présentât jamais comme un Dieu, objet de prière et de dévotion, de nombreux miracles lui sont attribués par la tradition. Le Bouddha mourra à l’age de 80 ans et fut incinéré. Ses reliques furent alors distribuées à ses disciples, qui les portèrent à différents endroits d’Inde et d’Asie du sud-est, ou elles furent préservées à l’intérieur d’imposants stupas, devenus depuis des lieux de pèlerinage.
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bouddha et le moine
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